Entre vallée du Rhône et Dentelles de Montmirail

Porté par la volonté des vignerons de Gigondas, le Cheminement de sculptures donne à voir, comme chaque année depuis quinze ans, de nouveaux artistes, entre vallée du Rhône et Dentelles de Montmirail.
On monte au village et on laisse sa voiture sur la place. Puis on s’achemine lentement vers l’Eglise qui nous attend au sommet des marches.
Echoué sur le parvis, un oursin blanc de Georges Guye se détache sur le bleu azur du ciel et rappelle qu’il y quelques millions d’années l’eau submergeait la plaine que l’on contemple. Dans notre dos, sur une placette, une modeste cabane grise de Raymond Galle profite de l’ombre d’un murier plusieurs fois centenaires. Elle signifie une présence humaine, mais laquelle? Plus loin les échelles de tissus de Ellen Rouppe lancées du haut des remparts, posées contres les murs des Hospices, des mains agrippées aux seuils des fenêtres évoquent la fuite, le goût, l’envie, le besoin d’aller voir ailleurs. En contrebas, les sculptures évidées d’Andrès Blume donnent des pistes au visiteur auquel il laisse le soin de construire mentalement les volumes. Au terme du cheminement extérieur, un orme sec, contaminé, du même Raymond Galle, git sur un lit de pierres et dit ce qui a été et qui n’est plus.
Dans les Hospices, les curieuses machines industrielles de Pierre-Gilles Chaussonet nous attendent. Elles sont là, sans fonction apparente si ce n’est pour l’esprit. On se retourne et l’on aperçoit dans le théâtre de verdure, une brochette de rugbymen, disposés comme des personnages de baby-foot et séparés par des tranches de tomates, de poivrons et d’oignons, une facétie de George Guye. Dans la salle du fonds, l’univers blanc de René Guiffrey se déploie en silence. L’envie de rester sur ce site et de ne plus en partir nous envahit.

Olivia Gazzano
Article paru dans le n°19, juillet/août 2009

Cheminement de sculptures, les Hospices, 84190 Gigondas. Tél. 04 90 65 80 76. Ouvert tous les jours en juillet et août, de 10h 30 à 13h et de 15h30 à 19h. Pour les autres mois de l’année : consulter le lieu. Renouvellement des sculptures chaque mois de novembre. Accès direct en voiture par le parking au-dessus de l’église.




Louis Lathieu Verdilhan, un peintre marseillais aux styles multiples

Le musée Yves Brayer, aux Baux-de-Provence présente actuellement et jusqu’au 28 août une trentaine de toiles du peintre provençal Louis Mathieu Verdilhan (1875- 1928) dans un parcours didactique permettant de découvrir toute la diversité de son œuvre.
Né dans une famille de cultivateurs protestants de Saint-Gilles du Gard, Louis Mathieu Verdilhan débute sa carrière en 1895 à Marseille, chez Eugène Giraud dit Giraud-la-pipe, artiste indépendant qui sur le quai Rive Neuve possédait un atelier de décors peints. Autodidacte, un fois ses qualités de peintre découvertes, il est envoyé à Paris où il poursuit cette activité dans des théâtres et participe à la réalisation du décor du pavillon de Monaco à l’Exposition universelle de 1900.
Durant sa courte carrière qui durera un peu plus de trente ans puisqu’il décède à 53 ans (1), il remet plusieurs fois son style en question par goût pour les divers courants qui apparaissent alors, mais aussi pour vivre de son art. C’est pourquoi sa production constituée de plus de mille tableaux peut paraître déroutante, Mathieu Verdilhan n’ayant jamais trouvé « son style » à la différence de ses contemporains régionaux, René Seyssaud (1867-1952) et Auguste Chabaud (1885-1955).
Ses toiles relèvent tout à tour de Monticelli avec ses touches empâtées, de Van Gogh, des impressionnistes ; les Fauves et leurs couleurs irréalistes retiennent son attention. Il ne cache pas son admiration pour Cézanne, flirte avec le cubisme et développe une forme propre d’expressionnisme ; certaines de ses vues de ports rappellent immanquablement celles d’Albert Marquet en compagnie duquel il peignait, à tel point que le poète André Suarès (1875-1947), lui aussi son contemporain marseillais dira « Marquet – Verdilhan : quelle belle paire de bottes ! ». A la fin de sa vie, c’est à Rouault que ses toiles font penser.
On lui connaît peu de natures mortes, l’essentiel de sa production étant composées de paysages, parmi lesquels les vues des ports de Marseille et de Toulon sont les plus connues. C’est donc avec intérêt que l’on parcourra l’exposition du musée Brayer dont l’un des mérites est de montrer d’autres représentations qui ont en commun de ne contenir aucun personnage, sauf parfois sous forme de silhouettes.
Son talent ne fut jamais vraiment reconnu, malgré les diverses expositions de groupe auxquelles il participa à Paris, en compagnie notamment de Signac, Bonnard, Matisse ou Manguin, les interventions de son ami Antoine Bourdelle, les ventes aux Etats-Unis et le soutien de deux mécènes principaux : le pharmacien André et Edouard Latil, industriel toulonnais qui lui acheta 250 toiles qu’il accrocha à touche-touche dans sa luxueuse maison de la Simiane à Toulon.
Il faut dire qu’il n’était pas d’un caractère facile et que son goût pour la radicalité et la solitude n’ont sans doute pas facilité les contacts. Est-ce le résultat de son éducation protestante ? Il décèdera dans une banlieue de Marseille, à La Pomme, d’un cancer du larynx.
Les toiles exposées au musée Brayer proviennent essentiellement de collections privées. On notera aussi deux tableaux exceptionnels : « le port de Marseille, 1919-1920 » appartenant au musée d’Art moderne de la Ville de Paris et « Bateaux à quai, 1919-1920 » provenant du musée Toulouse-Lautrec à Albi, sorti exceptionnellement des réserves du musée grâce au mécénat de la famille Brayer qui a contribué à la restauration de la fragile toile de chanvre du tableau.
On complètera avantageusement cette exposition par la lecture de l’ouvrage que les experts près la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, Daniel et Jean Chol, ont consacré au peintre.

Olivia Gazzano
Article paru dans le n° 18, mai/juin 2009

Louis Mathieu Verdilhan, Couleur et Puissance. Musée Brayer, jusqu’au 28 août, Les Baux-de-Provence. Tous les jours de 10h à 12h30 et de 14h à 18h30. Entrée : 4 euros, gratuit pour les – 18 ans. Tél. 04 90 54 36 99. Catalogue : 10 euros.

Louis Mathieu Verdilhan (1875-1928), carillonneur de couleurs, architecte de la forme. Daniel et Jean Chol, avec la collaboration d’Huguette Lasalle. Editions Chol, 2005. 45 euros, en vente au musée.
(1) si on la compare à ses illustres contemporains : Monticelli (1824-1886) 62 ans, Matisse (1869-1954) 85 ans, Monet (1840-1926) 86 ans, Cézanne (1939-1906) 67 ans, Bourdelle (1861-1929) 68 ans, Van Gogh (1853-1890) 37 ans, Marquet (1875- 1947) 72 ans, Rouault (1871-1958) 87 ans.

Grignan: des passerelles lancées entre art brut et art contemporain

Avec comme génie tutélaire, le facteur Cheval et son Palais idéal, l’association des « Enfants du facteur » tisse des liens entre deux mondes qui, souvent, s’ignorent: rencontres entre artistes qu’à priori tout éloigne, carte blanche à des collectionneurs passionnés par cet improbable dialogue, regards croisés… Toutes ces possibilités sont explorées.
Comment naît un tel projet, en dehors des clous ou plutôt puisque nous sommes à la campagne, - celle qui plait tant aux parisiens-, en dehors des sentiers battus ? Grâce à l’implication de l’artiste Françoise Vergier dont l’œuvre sculptée, profondément originale et terrienne, se dérobe à toute classification, Françoise qui est grignanaise.

Carte blanche à un collectionneur d’exception
Antoine de Galbert, Fondateur de la « Maison rouge » à Paris, a retenu dans ses collections, pour l’exposition de Grignan deux « obsessionnels » : Henri Ughetto, l’homme qui peint des millions de gouttes de sang, un sorte de baroque contemporain qui déteste la « non-couleur », les gris, qui utilise les couleurs pures sans vouloir les harmoniser et Roman Opalka, celui qui matérialise le passage du temps en noir et blanc et qui, loin de l’illusoire nouveauté, répète sur une toile des lignes de nombres tracées au pinceau n° zéro, en blanc sur fond noir. Seul changement d’une toile à l’autre, éclaircir à chaque fois d’1% de blanc, mais surtout s’interdire tout autre travail que cette répétition. Nul doute qu’accrochés aux cimaises de Grignan, ces deux là auront des choses à dire… Ils seront en compagnie du Japonais Tetsumi Kudo qui met sous globe non pas un bouquet de mariée ou une sainte vierge, mais la pourriture du monde, mort ornée de fleurs en plastique…
Une vingtaine d’artistes appartenant au monde de l’art contemporain et de l’art brut seront présents et parmi eux, Augustin Lesage et Joseph Crépin, deux artistes de la première moitié du vingtième siècle qui ont un lien avec le spiritisme. » Je n’ai jamais visité de musée, je n’ai jamais appris le dessin, ni la peinture ». Cet aveu de Crépin, le sourcier vaut aussi pour le mineur Lesage, tous deux admirés par le surréaliste André Breton pour leurs tableaux merveilleux surgis d’une profondeur à laquelle nous n’avons pas accès. Des artistes que l’on ne voit guère que dans les musées comme celui de Lausanne et que l’on aura la chance de pouvoir admirer ici.

Expo d’automne et d’hiver
A partir du 18 septembre Marc Desgranchamps et Basserode présenteront une exposition commune, chacun ayant travaillé au coeur de l’oeuvre de l’autre.
A partir du 13 novembre et jusqu’aux fêtes de fin d’année : « Promenade dans un enclos » de François Righi. L’homme des livres et des paons présentera son travail autour d’« Au dessous du volcan » de Malcom Lowry. Edition précieuse de quelques pages du livre pour bibliophiles avertis, puis pages qui prennent leur envol en grand format comme un éclaté de l’oeuvre, avec des dessins et des pièces entrant dans la composition du livre. Un chef d’oeuvre littéraire, un grand artiste étonnant de modestie : il ne faudra pas rater cette exposition !

Anne Simonet-Avril
article paru dans le n° 18, mai/juin 2009

A la Fondation Blachère, l'hommage à Rosa Park ou la force du refus

Sur fond d’effet Obama, le sénégalais Ndary Lo présente un hommage à « celle qui a osé dire non ». Une œuvre unique conçue aux dimensions du centre d’art aptésien, où l’artiste convoque la mémoire de l’esclavage et met en scène son panthéon personnel des « hommes debout ».
Au centre, il y a le bus, ou plutôt son effigie. Une trace au sol figure la place assignée à chacun, petits carrés blancs, places délimitées et réservées prioritairement aux Blancs dans l’Amérique de la ségrégation raciale. C’est le fantôme du bus de Montgomery (Alabama) où voyageait une certaine Rosa Parks, le 1° décembre 1955, le jour où elle refusa de céder sa place à un homme blanc. A partir de ce geste de résistance s’organisa le boycott des bus américains lancé par un pasteur quasi-inconnu alors, un certain Martin Luther King.
Autour de cette évocation centrale, le plasticien sénégalais Ndary Lo a construit une œuvre unique, aux dimensions du centre d’art tout entier, 400 mètres carrés plongés dans le noir et mis en lumière par Pierre Jaccaud, le directeur artistique du lieu. Un hommage à « celle qui a osé dire non », la première d’une lignée d’hommes et de femmes incarnant la force du refus. Aux murs, Aimé Césaire, Angela Davis, Nelson Mandela portraiturés en noir et blanc à la façon d’Andy Warhol côtoient Patrice Lumumba ou Barak Obama. « C’est un extrait de mon Panthéon personnel », explique Ndary Lo. « Vingt-deux personnes debout qui ont lutté contre la ségrégation raciale ». D’autres, artistes, critiques d’art, hommes politiques, sont présents par vidéos interposées, mêlés à des extraits de films, jalons historiques témoignant de leurs combats.
Ce Panthéon rejoint les figures en marche, silhouettes métalliques, décharnées, qui traversent depuis toujours l’œuvre très politique de ce plasticien. « Pour moi, être artiste, c’est être engagé », explique cet homme disert, maniant le verbe tout autant que le pinceau ou les matériaux de récupération, éléments de base de ses sculptures. Dans son atelier des faubourgs de Dakar, Ndary Lo vit entouré de silhouettes à la Giacometti. « Cela m’a pris au retour d’un séjour en France. J’ai voulu figurer les Africains debout, les mettre en marche ». D’autres silhouettes, plus pathétiques, peuplent son univers : des pantins de chiffons grandeur nature, comme ceux qu’il avait entassés dans un bus africain, première mouture de son hommage à Rosa Parks présenté en 2005 à la Biennale de Dakar. Entre-temps, l’évocation centrale a évolué vers l’épure, le sculpteur a approfondi la peinture, et la galerie de portraits n’a cessé de s’élargir. « Ce travail est un work in progress », expliquait-il lors du vernissage à la fondation Blachère. Constituant le fond de l’installation, la « Muraille verte » est une forêt d’hommes-arbres, les bras en forme de branches tendues vers le ciel. Un cri collectif contre l’avancée du désert.
La chair de l’œuvre elle-même est éloquente. Les chaînes suspendues au-dessus du bus fantôme sont faites d’ossements ramassés sur l’île de Gorée. Elles évoquent la mémoire de l’esclavage, « le contact du fer avec la chair de l’esclave ». Les peintures intègrent de l’extrait de café, référence à l’histoire des plantations. « En peignant, je me suis aperçu que le café fonctionnait comme un retardateur sur l’acrylique », constate le peintre qui a mis à profit cette découverte pour peaufiner ses portraits. Quant à Barack Obama, il figurait déjà au Panthéon de Ndary Lo bien avant d’être élu. «Le simple fait qu’un Américain d’origine africaine soit candidat face à Mc Cain était déjà une victoire », se souvient l’artiste. Depuis, l’effet Obama a pris son essor. Prolongeant le refus de Rosa Parks, il participe d’une même vague historique. C’est cette unité, revisitée par un regard africain, que donne à voir l’exposition.

Carina Istre
Jusqu’au 31 mai 2009. Entrée libre. Tel 04 32 52 06 15.
Article paru dans le numéro 17 du mars/avril 2009

Georges Glasberg : « Tu diras que je t’ai fait rêver ! »

Ce jour-là, nous avions rendez-vous chez lui, à Oppède. Il préparait dans l’enthousiasme, avec Annie Montagard, l’exposition « Le bois sacré de Bomarzo ». L’œil pétillant, il m’attendait, prêt à tirer de son chapeau des anecdotes et des confidences. Georges, éternel séducteur. « Ces photos-là, je ne les ai jamais exposées », me dit-il. « Je voulais les présenter dans un jardin ». Le jardin dans un jardin, idée poétique, clin d’œil à la Glasberg. Depuis, les vues de Bomarzo, ce parc italien peuplé de sculptures étranges qu’il photographia à l’état quasi-sauvage dans les années 50, ont pris place au jardin de la Maison de la truffe et du vin à Ménerbes. Un jeu de miroirs où photos et réalité se répondent. Georges Glasberg n’est plus là pour s’y balader, son Rolleiflex en bandoulière. Il s’en est allé chercher là-haut un angle de vue insolite, et sans doute séduire les nymphettes célestes. C’est pourtant lui –l’un des derniers portraits de lui, pris en ces lieux même --qui nous accueille, nous emmène apprivoiser les monstres de pierre de Bomarzo, contempler l’Hercule déchirant une femme nue, entrer dans la bouche béante de l’ogre, ou escalader les courbes généreuses d’une géante alanguie. « J’ai souvent pris des risques, et ce n’étaient pas toutes des géantes ! », disait-il en riant. Puis il vous entraînait, d’un souvenir à l’autre, rencontrer Dali à Cadaquès, arpenter les rues chaudes de Paris avec Michel Simon, voir de près les beaux yeux de Michèle Morgan, fréquenter le Montmartre nocturne en compagnie de Pierre Brasseur, Dimey et bien d’autres. Ce faisant, l’œil en coin, il guettait le sourire sur vos lèvres, pour l’attraper dans son filet à papillons où dormaient encore mille photos à faire. Il s’en amusait, heureux. Interrogé sur la lumière idéale pour photographier la sculpture, il répondait, ravi de son effet, en contemplant les cheveux frisés de son interlocutrice : « La lumière frisante ! ». Et comme l’après-midi, d’une confidence à l’autre, déclinait doucement : « Tu diras que je t’ai fait rêver ! », lâchait-il pour conclure cette dernière interview. Une petite phrase qui résume bien le travail de ce « photodidacte » capteur de rencontres inattendues, guetteur des surprises du quotidien, de ces étincelles fugaces que produisent parfois les choses de la vie quand elles s’entrechoquent. Allez vous balader cet été, avec lui, côté jardin. A coup sûr, il vous fera rêver…

Carina Istre, n° 19 juillet-août 2009

Derain sculpteur : la vie des formes en mouvement

Depuis près de onze ans, la Fondation Angladon-Dubrujeaud revisite avec succès des aspects méconnus des grands mouvements artistiques occidentaux. Après les expositions consacrées à « Degas en blanc et noir », à Forain, à Signac en Provence et au « Secret des Estampes » en 2006, la Fondation propose de découvrir jusqu’au 6 janvier 2008 une collection étonnante de sculptures, de gravures, d’illustrations de livres et de costumes de théâtre réalisés par le peintre Derain.
Avant même de pénétrer dans la Fondation et de découvrir les nouvelles expositions permanentes, les visiteurs ont pris l’habitude d’aiguiser leur curiosité en déchiffrant les affiches. « La femme au long cou », fière, altière et gracieuse comme une gazelle de la savane, image d’appel de l’exposition consacrée à « Derain sculpteur », fait indéniablement penser aux sculptures de Gauguin. À juste titre car Derain, plus connu du grand public pour son appartenance aux Fauvistes, a été influencé par Gauguin. En parcourant l’exposition, les visiteurs ne sont pas au bout de leurs surprises.
En effet, ils découvrent avec bonheur dans l’une des salles au rez-de-chaussée une série de sculptures, vraies « figures mythologiques grimaçantes ». Matérialisations concrètes de l’intérêt de Derain pour l’expressionnisme primitif de la sculpture archaïque de l’ancienne Egypte, de l’Italie et de la Grèce. Là, l’œil et l’esprit plus ou moins avertis des visiteurs plongent dans un décor merveilleux d’antiquaire du début du siècle, laboratoire avancé des cabinets de curiosité des surréalistes.
« Beauté rayonnante, Femme à la Coiffe » de 1912 constitue la pièce centrale d’un ensemble de bronzes. Elle dénote chez Derain une volonté de spiritualiser le visage féminin et de traduire dans un style nouveau l’esprit des portails décorés des cathédrales gothiques. Le syncrétisme entre le classicisme grec, le formalisme cézannien et l’archaïsme de l’art africain est total. L’intention première de Derain est communicative. On ressent son besoin de « briser le cercle dans lequel nous ont enfermés les réalistes ».
Dans une deuxième salle, toujours au rez-de-chaussée, les relations de Derain avec l’art africain apparaissent, splendides, en pleine lumière. Ce qui l’intéresse — il a subit avec éclat « l’épreuve du feu » rayonnante et sacré des Fauves —, c’est la capacité de ces artistes venus d’un autre monde à faire surgir matière, formes, couleurs et lumière d’une substance première indéterminée. Certes Picasso, Braque et Matisse ne sont pas loin. Mais on éprouve face aux sculptures de Derain une recherche unique d’harmonie apaisée par la force inhérente de ces formes ainsi assemblées.
Gravures sur bois, décors de théâtres et autres illustrations de livres, particulièrement bien mis en valeur dans les autres salles, confirment l’impression d’un Derain, en pleine période révolutionnaire de bouleversement des ordres établis, en quête d’une paix intérieure alimentée à la source d’une énergie créatrice universelle. L’exposition est une illustration brillante de la philosophie esthétique de Derain pour qui « l’art, l’origine des arts plastiques est toute magique… L’art c’est l’invention d’une joie… C’est la pénétration interne des choses ».
Derain sculpteur, une manifestation exemplaire de l’idée selon laquelle la matière n’attend qu’une étincelle pour s’animer d’une vie étonnante de nouveautés et de richesses insoupçonnées
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Michel Ban, n° 9, novembre/décembre 2007

Michel Duport à la galerie Eric Linard

Succédant à Claude Viallat et à Bernard Pagés dans ce bel espace d’exposition dédié à l’art contemporain, Michel Duport investit complètement le lieu, brouille les pistes, bouleverse l’espace. Accrochant dans un angle, il réussit la prouesse de l’abolir et crée un mur d’un seul tenant sur lequel il peint directement, d’abord un rythme de bandes noires, puis des formes qui feront partie d’une future œuvre en relief : ombres étranges des modules en plâtre colorés. Sur un autre pan de mur, il installe une rangée de « sellettes » colorées. « J’accroche mes œuvres comme des tableaux pour qu’elles soient vues d’un regard frontal, dit-il. Certes, on peut les regarder par tous les bords avec leurs volumes, mais ce sont des tableaux, pas des sculptures. Je ne pose jamais rien par terre, précise-t-il. »
Jeu de formes, jeu de couleurs. Promenade dans l’histoire de l’art. L’œil joue, la galerie s’anime, puis une impression de familiarité nous gagne. Formes et couleurs sont à la fois nouvelles et familières : on reconnaît comme un hommage à... Michel Duport ne dément pas : « J’aime raconter l’histoire de l’art, revisiter les formes des années trente. »
Revisiter ? Questionner ! De belles couleurs, dans les aplats comme dans les vibrations ou les textures des fonds, sur les formes en plâtre, mais peu de couleurs assemblées. À cela, il répond que la figure ultime de la peinture est le monochrome mais qu’il est, lui, de tendance polychrome. D’où ce traitement particulier de la couleur : jamais plus de deux ou trois ensemble, en quelque sorte des « bichromes », des « trichromes ». Une toile rouge voisine avec une toile bleue ; posées sur de petits socles jaunes, elles refusent l’horizontalité et nous offrent un superbe bain de couleur.
Pour nous visiteurs, il y a presque un côté enfantin. Par moment, on pense à une étonnante chambre d’enfant, chaque couleur franchement séparée de sa voisine, des formes simples parfois répétitives, oui, vraiment, un jeu de formes, jeu de cubes, de construction, d’assemblage, quelque chose de proche des origines du design : une invitation au jeu ?

Anne Simonet-Avril, n° 9, novembre/décembre 2007

Bernard Calvet Une peinture séduisante et méditative

On a plaisir à entrer dans la peinture de Bernard Calvet faite des objets rassurants du quotidien, d’espaces lumineux et d’ombres bleutées.
Terrasses de bistrots avec ses tables et ses chaises, places méridionales, linges de maison, sa peinture décrit des motifs qui nous sont familiers. Pourtant l’intérêt de sa peinture ne réside pas là. Ils ne sont que le prétexte à suggérer la présence/absence des hommes : chaise repoussée, bicyclette négligemment posée contre un mur ou un platane indiquent leur passage et invitent à imaginer une histoire qui se passe hors champ.
La lumière reste l’essentiel de sa peinture. Elle prédomine dans les premiers plans abstraits faits de pure couleur et qui occupent souvent plus du tiers du tableau, reléguant les motifs au titre d’accessoire, dilatant l’espace et donnant cette sensation de peinture silencieuse et métaphysique.
Corollaire de la lumière, les ombres, bleutées, tempèrent la luminosité qui se dégage des toiles et les adoucissent. Négatifs des motifs, ces ombres en sont en quelque sorte le contrechamp donnant à voir une autre réalité, intérieure celle-ci et aussi vaste que ses premiers plans.
Champ, hors champ, champ, contrechamp, présence/ absence, lumière et ombres : la peinture de Bernard Calvet est plusieurs fois bipolaire, c’est à dire équilibrée. A cela s’ajoutent les dimensions de ses toiles, souvent carrées ou proche du carré qui les éloignent de la peinture de paysage ou de la nature morte et contribuent à leur conférer cet aspect paisible et méditatif.

O.Gazzano, n°9, novembre/décembre 2007

Sculptures monumentales de Lehmbruck à César

Après les expositions des oeuvres de Niki de Saint-Phalle en 2005 et celles de Keith Harring en 2006, la Fondation Salinger (Le Thor) propose cette année dans les jardins de la Bastide Rose, une exposition de 14 sculptures monumentales provenant du musée Wilhelm Lehmbruck de Duisbourg, en Allemagne.
Réalisée grâce à la collaboration active du directeur du musée qui considère que le discours du président Kennedy “Ich bin ein Berliner” a été fondamental pour la réunification de l’Allemagne et a donné l’espoir aux Allemands de retrouver leur pays unifié, l’exposition présente les sculptures de Wilhelm Lehmbruck, Henry Moore, Henri Laurens, Jacques Lipchitz, Edwin Scharff, Klaus Simon, Kenneth Armitage, Bryan Hunt, Alf Lechner, Marta Pan, Berto Lardera, Eduardo Paolozzi, Ruud Kuijer et César qui sont habituellement exposées dans la ville de Duisbourg.
Elle propose au travers de ces artistes un panorama de la sculpture au XXème siècle: ni liée à un commanditaire, ni subordonnée à une iconographie. La sculpture au XXème siècle est autonomne. L’artiste choisi seul ses sujets, les techniques et les matériaux employés, les formats. Elle n’imite plus la réalité, elle exprime une idée, une vision ou une sensation. Elle est faite pour être regardé pour elle-même, pour qu’on y tourne autour, pour s’attacher à l’abstraction de ses volumes et à l’espace qui l’entoure. Elle est avant tout un expérience sensorielle.
Cette exposition donne ainsi à voir quatorze manières différentes d’aborder la sculpture au fil du XXème siècle, de Wilhelm Lehmbruck, décédé en 1919, disciple d’Auguste Rodin et de Maillol à César, disparu en 1998, assembleur et soudeur de génie.


Olivia Gazzano, n°8, septembre/octobre 2007

John F. Kennedy aurait eu 90 ans cette année

Le musée Pierre Salinger propose actuellement une exposition, “Instants d’Années”, consacrée à J.F. Kennedy qui aurait eu 90 ans cette année. Constituée de photographies, souvent inédites, elle retrace le parcours hors du commun d’un homme exceptionnel.
Pierre Salinger, né en 1925 à San Francisco d’une mère française et d’un père juif allemand, a vécu au Thor, dans sa demeure de la Bastide Rose les dernières années de sa vie après avoir mené durant quarante ans une carrière de journaliste aux Etat-Unis, à Paris et à Londres. Familier du clan Kennedy, il avait orchestré la campagne présidentielle du futur président, été devenu son porte-parole à la Maison Blanche en 1961 et après l’assassinat de celui-ci jusqu’en 1964. Peu avant son décès, survenu en octobre 2004, il avait créée avec sa femme, l’association Les Jardins de Poppy pour favoriser l’amitié franco-américaine à travers l’art et tout particulièrement la sculpture monumentale.
A son décès, l’idée de consacrer un musée à sa prestigieuse carrière journalistique, politique et littéraire s’imposa à son entourage , dans la mesure où il laissait une somme de témoignages écrits, photographiques, vidéos et d’objets personnels. La visite de ce musée est en effet pour le moins singulière et passionnante: on y aborde la politique américaine durant les années soixante, au temps de la guerre froide, à travers des photographies prises en séances de travail avec le président Kennedy, d’autres plus intimes provenant de la famille, ou encore, des photographies prises en URSS lors de sa rencontre avec Kroutchev. Une manière très vivante de se replonger dans la politique internationale du XXème siècle, accentuée par les commentaires de la responsable du musée. Néerlandaise, passionnée de président Kennedy depuis l’enfance et amie de Pierre Salinger, elle ponctue le parcours d’anecdotes qui donnent toute sa saveur à la visite. On aurait jamais imaginé pouvoir pénétrer dans l’intimité de ces deux hommes prestigieux en se rendant au Thor !

Olivia Gazzano, n°8, septembre/octobre 2007

Un cheminement de sculptures

Sur les hauteurs moyennageuses du village de Gigondas, entre murailles et église, sculptures de pierre, de métaux et de bois se donnent à voir au fil des heures, des jours et des saisons, au gré de la lumière.
Les blocs de marbre vert des Alpes de Pascal Liengme semblent avoir été déposés là par les glaciers qui les ont jadis recouverts, sculptés et transportés. Ils nous ramènent à un passé antédiluvien où l’homme n’existait pas et dont les traces qui nous restent sont les coquilles des mollusques prises au piège des dépôts sédimentaires. Pascal Liengme en a reproduit et accentué les images qui font échos aux fossiles que l’on trouve dans le massif des Dentelles de Montmirail toutes proches. Et la proximité de l’église amènent à s’interroger sur la création du monde, racontée de manière mythique auparavant et scientifique maintenant. Celle du cimetière, interroge le devenir humain et désenchante le monde au regard des sciences actuelles.
Les sculptures d’acier et de béton de Michel Argouges, telles des sentinelles, veillent sur les entrées du château. Tandis que les drapeaux rouges de Karl Manfred Rennertz en signalent au loin la présence.
Le doré de ses bois sculptés rappellent celui des icônes et des primitifs italiens. Il fait écho à celui de la châsse de Guillaume Liffran, objet insolite fait d’une peau chimique qui se déssèche et se craquelle de plus en plus au cours du temps et d’une pierre des Dentelles dont la pesanteur est retenue à la toile de peau par un fil d’acier.
Ses objets poétiques et volants ressemblent à des bâteaux spaciaux sortis d’un conte inconnu. Accrochés dans la pénombre des salles du château, ils font penser à des vaisseaux fantômes qui errent dans la nuit des temps. Rêves d’apesanteur contrecarrés par ces pierres suspendues toujours présentes.

Olivia Gazzano, n°7, juillet août 2007