Apt-Bamako, l'Afrique côté photo


Pierre Jaccaud, Stéphanie Hugues
 (Fondation Jean-Paul Blachère)
avec Nestor Da, à la biennale de Bamako

La Fondation Blachère a choisi de booster cinq talents émergents du continent africain et de la diaspora, repérés à la Biennale de la photographie. Le début d’une aventure qui va se poursuivre jusqu’en 2011.
Jeans et boubous se pressent dans la cour du centre culturel Hampaté Ba, autour du jus de gingembre et des beignets. La nuit et le son de la kora nous enveloppent peu à peu. Nous sommes dans le quartier populaire de Missira, à Bamako. C’est ici, dans le fief d’Aminata Traoré, aux côtés des gens du quartier, que la Fondation Jean-Paul Blachère a choisi de récompenser cinq lauréats sélectionnés dans le cadre de la Biennale de la photo. A Bamako, tous les deux ans, convergent les photographes et vidéastes africains, mais aussi les galeries et collectionneurs du monde entier. Dans ce carrefour de la création africaine, la Fondation d’entreprise ancrée en pays d’Apt intervient en électron libre. Voilà six ans qu’elle a pris pour parti de booster les talents du continent et de la diaspora, en prenant pour champ d’intervention l’art contemporain. Avec des workshops, des expositions en France et en Afrique, des résidences d’artistes, elle s’est forgé une crédibilité. Elle a gagné la confiance de grandes figures, dont Malick Sidibé, premier photographe et le premier africain couronné par un Lion d’Or à la Biennale de Venise.
Ce soir, Malick a quitté son célèbre studio pour venir en voisin participer à la fête. Griot malicieux, il distille des leçons de sagesse à sa façon. Il raconte comment, enfant pauvre mais doué, il est venu à la photo par une succession de malchances…qui se sont avérées être des chances. C’est à lui que revient la tâche de féliciter les lauréats de la Fondation. Ils sont cinq photographes, très émus. Le jury, explique Pierre Jaccaud, directeur artistique de la Fondation, « a fait le choix de la surprise, de la nouveauté ». Il ne s’agit pas de récompenser des noms reconnus, mais plutôt d’aider des talents à s’affirmer, de leur donner un champ d’expression plus large, des ouvertures nouvelles. Le contenu des prix illustre bien cette démarche : la Fondation n’offre pas de chèques, mais des opportunités de création et de visibilité. Ainsi les cinq artistes seront invités à exposer leurs photographies dans le centre d’art de la Fondation Blachère à Apt du 28 octobre 2010 au 16 Janvier 2011. Ils participeront également à un workshop de dix jours à Lyon, au printemps 2010, en collaboration avec le Musée des Confluences. Et l’un d’entre eux, récompensé par le prix «jeune création » attribué avec le concours de la compagnie Air France et du laboratoire HRA-Pharma, bénéficiera en plus d’une résidence de six mois à l’Ecole nationale de photographie d’Arles. L’heureux élu est Nestor Da, jeune plasticien burkinabé. Ses compositions entre photo-collages, photo-montages, réintégrant notamment des images de magazine, révèlent des pistes de recherches plastiques très personnelles. Nestor Da « peint » en utilisant l’outil photo, et une bonne dose d’humour. Autodidacte, artiste en émergence, son séjour à Arles devrait l’aider à avancer dans sa propre voie.
Les autres lauréats illustrent la diversité de la photo africaine. Baudouin Mouanda (Congo-Brazzaville) aborde avec des cadrages dans le vif de l’action le phénomène urbain et décalé de la « Sape » (Société des ambianceurs et personnes élégantes) à Paris et Brazza. Zanele Muholi, femme photographe et porte-parole des droits des lesbiennes en Afrique du Sud, met en scène des personnages homosexuels en détournant le concept de la photo de mode. Elle poursuit aussi un travail controversé sur le corps intime des femmes noires. L’énergie de Lagos est perceptible dans les images d’Uche Okpa-Iroha. Membre d’un collectif qui poursuit l’exploration de la métropole nigériane, il livre des images d’une étrange poésie qui racontent « La vie sous le pont », lieu improbable où chacun s’est reconstitué un chez-soi . Mohamed Bourouissa, n’est plus un inconnu pour les initiés. Ce Français d’origine algérienne compose des allégories contemporaines inspirées du quotidien des banlieues. Du coup, cette réalité-là échappe aux pages faits-divers pour entrer dans les galeries d’art. Cinq itinéraires à suivre, dans les mois qui viennent, au fil des actions de la fondation.

Carina Istre, paru dans le n°22, janvier-février 2010.

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