Entre vallée du Rhône et Dentelles de Montmirail

Porté par la volonté des vignerons de Gigondas, le Cheminement de sculptures donne à voir, comme chaque année depuis quinze ans, de nouveaux artistes, entre vallée du Rhône et Dentelles de Montmirail.
On monte au village et on laisse sa voiture sur la place. Puis on s’achemine lentement vers l’Eglise qui nous attend au sommet des marches.
Echoué sur le parvis, un oursin blanc de Georges Guye se détache sur le bleu azur du ciel et rappelle qu’il y quelques millions d’années l’eau submergeait la plaine que l’on contemple. Dans notre dos, sur une placette, une modeste cabane grise de Raymond Galle profite de l’ombre d’un murier plusieurs fois centenaires. Elle signifie une présence humaine, mais laquelle? Plus loin les échelles de tissus de Ellen Rouppe lancées du haut des remparts, posées contres les murs des Hospices, des mains agrippées aux seuils des fenêtres évoquent la fuite, le goût, l’envie, le besoin d’aller voir ailleurs. En contrebas, les sculptures évidées d’Andrès Blume donnent des pistes au visiteur auquel il laisse le soin de construire mentalement les volumes. Au terme du cheminement extérieur, un orme sec, contaminé, du même Raymond Galle, git sur un lit de pierres et dit ce qui a été et qui n’est plus.
Dans les Hospices, les curieuses machines industrielles de Pierre-Gilles Chaussonet nous attendent. Elles sont là, sans fonction apparente si ce n’est pour l’esprit. On se retourne et l’on aperçoit dans le théâtre de verdure, une brochette de rugbymen, disposés comme des personnages de baby-foot et séparés par des tranches de tomates, de poivrons et d’oignons, une facétie de George Guye. Dans la salle du fonds, l’univers blanc de René Guiffrey se déploie en silence. L’envie de rester sur ce site et de ne plus en partir nous envahit.

Olivia Gazzano
Article paru dans le n°19, juillet/août 2009

Cheminement de sculptures, les Hospices, 84190 Gigondas. Tél. 04 90 65 80 76. Ouvert tous les jours en juillet et août, de 10h 30 à 13h et de 15h30 à 19h. Pour les autres mois de l’année : consulter le lieu. Renouvellement des sculptures chaque mois de novembre. Accès direct en voiture par le parking au-dessus de l’église.




Louis Lathieu Verdilhan, un peintre marseillais aux styles multiples

Le musée Yves Brayer, aux Baux-de-Provence présente actuellement et jusqu’au 28 août une trentaine de toiles du peintre provençal Louis Mathieu Verdilhan (1875- 1928) dans un parcours didactique permettant de découvrir toute la diversité de son œuvre.
Né dans une famille de cultivateurs protestants de Saint-Gilles du Gard, Louis Mathieu Verdilhan débute sa carrière en 1895 à Marseille, chez Eugène Giraud dit Giraud-la-pipe, artiste indépendant qui sur le quai Rive Neuve possédait un atelier de décors peints. Autodidacte, un fois ses qualités de peintre découvertes, il est envoyé à Paris où il poursuit cette activité dans des théâtres et participe à la réalisation du décor du pavillon de Monaco à l’Exposition universelle de 1900.
Durant sa courte carrière qui durera un peu plus de trente ans puisqu’il décède à 53 ans (1), il remet plusieurs fois son style en question par goût pour les divers courants qui apparaissent alors, mais aussi pour vivre de son art. C’est pourquoi sa production constituée de plus de mille tableaux peut paraître déroutante, Mathieu Verdilhan n’ayant jamais trouvé « son style » à la différence de ses contemporains régionaux, René Seyssaud (1867-1952) et Auguste Chabaud (1885-1955).
Ses toiles relèvent tout à tour de Monticelli avec ses touches empâtées, de Van Gogh, des impressionnistes ; les Fauves et leurs couleurs irréalistes retiennent son attention. Il ne cache pas son admiration pour Cézanne, flirte avec le cubisme et développe une forme propre d’expressionnisme ; certaines de ses vues de ports rappellent immanquablement celles d’Albert Marquet en compagnie duquel il peignait, à tel point que le poète André Suarès (1875-1947), lui aussi son contemporain marseillais dira « Marquet – Verdilhan : quelle belle paire de bottes ! ». A la fin de sa vie, c’est à Rouault que ses toiles font penser.
On lui connaît peu de natures mortes, l’essentiel de sa production étant composées de paysages, parmi lesquels les vues des ports de Marseille et de Toulon sont les plus connues. C’est donc avec intérêt que l’on parcourra l’exposition du musée Brayer dont l’un des mérites est de montrer d’autres représentations qui ont en commun de ne contenir aucun personnage, sauf parfois sous forme de silhouettes.
Son talent ne fut jamais vraiment reconnu, malgré les diverses expositions de groupe auxquelles il participa à Paris, en compagnie notamment de Signac, Bonnard, Matisse ou Manguin, les interventions de son ami Antoine Bourdelle, les ventes aux Etats-Unis et le soutien de deux mécènes principaux : le pharmacien André et Edouard Latil, industriel toulonnais qui lui acheta 250 toiles qu’il accrocha à touche-touche dans sa luxueuse maison de la Simiane à Toulon.
Il faut dire qu’il n’était pas d’un caractère facile et que son goût pour la radicalité et la solitude n’ont sans doute pas facilité les contacts. Est-ce le résultat de son éducation protestante ? Il décèdera dans une banlieue de Marseille, à La Pomme, d’un cancer du larynx.
Les toiles exposées au musée Brayer proviennent essentiellement de collections privées. On notera aussi deux tableaux exceptionnels : « le port de Marseille, 1919-1920 » appartenant au musée d’Art moderne de la Ville de Paris et « Bateaux à quai, 1919-1920 » provenant du musée Toulouse-Lautrec à Albi, sorti exceptionnellement des réserves du musée grâce au mécénat de la famille Brayer qui a contribué à la restauration de la fragile toile de chanvre du tableau.
On complètera avantageusement cette exposition par la lecture de l’ouvrage que les experts près la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, Daniel et Jean Chol, ont consacré au peintre.

Olivia Gazzano
Article paru dans le n° 18, mai/juin 2009

Louis Mathieu Verdilhan, Couleur et Puissance. Musée Brayer, jusqu’au 28 août, Les Baux-de-Provence. Tous les jours de 10h à 12h30 et de 14h à 18h30. Entrée : 4 euros, gratuit pour les – 18 ans. Tél. 04 90 54 36 99. Catalogue : 10 euros.

Louis Mathieu Verdilhan (1875-1928), carillonneur de couleurs, architecte de la forme. Daniel et Jean Chol, avec la collaboration d’Huguette Lasalle. Editions Chol, 2005. 45 euros, en vente au musée.
(1) si on la compare à ses illustres contemporains : Monticelli (1824-1886) 62 ans, Matisse (1869-1954) 85 ans, Monet (1840-1926) 86 ans, Cézanne (1939-1906) 67 ans, Bourdelle (1861-1929) 68 ans, Van Gogh (1853-1890) 37 ans, Marquet (1875- 1947) 72 ans, Rouault (1871-1958) 87 ans.

Grignan: des passerelles lancées entre art brut et art contemporain

Avec comme génie tutélaire, le facteur Cheval et son Palais idéal, l’association des « Enfants du facteur » tisse des liens entre deux mondes qui, souvent, s’ignorent: rencontres entre artistes qu’à priori tout éloigne, carte blanche à des collectionneurs passionnés par cet improbable dialogue, regards croisés… Toutes ces possibilités sont explorées.
Comment naît un tel projet, en dehors des clous ou plutôt puisque nous sommes à la campagne, - celle qui plait tant aux parisiens-, en dehors des sentiers battus ? Grâce à l’implication de l’artiste Françoise Vergier dont l’œuvre sculptée, profondément originale et terrienne, se dérobe à toute classification, Françoise qui est grignanaise.

Carte blanche à un collectionneur d’exception
Antoine de Galbert, Fondateur de la « Maison rouge » à Paris, a retenu dans ses collections, pour l’exposition de Grignan deux « obsessionnels » : Henri Ughetto, l’homme qui peint des millions de gouttes de sang, un sorte de baroque contemporain qui déteste la « non-couleur », les gris, qui utilise les couleurs pures sans vouloir les harmoniser et Roman Opalka, celui qui matérialise le passage du temps en noir et blanc et qui, loin de l’illusoire nouveauté, répète sur une toile des lignes de nombres tracées au pinceau n° zéro, en blanc sur fond noir. Seul changement d’une toile à l’autre, éclaircir à chaque fois d’1% de blanc, mais surtout s’interdire tout autre travail que cette répétition. Nul doute qu’accrochés aux cimaises de Grignan, ces deux là auront des choses à dire… Ils seront en compagnie du Japonais Tetsumi Kudo qui met sous globe non pas un bouquet de mariée ou une sainte vierge, mais la pourriture du monde, mort ornée de fleurs en plastique…
Une vingtaine d’artistes appartenant au monde de l’art contemporain et de l’art brut seront présents et parmi eux, Augustin Lesage et Joseph Crépin, deux artistes de la première moitié du vingtième siècle qui ont un lien avec le spiritisme. » Je n’ai jamais visité de musée, je n’ai jamais appris le dessin, ni la peinture ». Cet aveu de Crépin, le sourcier vaut aussi pour le mineur Lesage, tous deux admirés par le surréaliste André Breton pour leurs tableaux merveilleux surgis d’une profondeur à laquelle nous n’avons pas accès. Des artistes que l’on ne voit guère que dans les musées comme celui de Lausanne et que l’on aura la chance de pouvoir admirer ici.

Expo d’automne et d’hiver
A partir du 18 septembre Marc Desgranchamps et Basserode présenteront une exposition commune, chacun ayant travaillé au coeur de l’oeuvre de l’autre.
A partir du 13 novembre et jusqu’aux fêtes de fin d’année : « Promenade dans un enclos » de François Righi. L’homme des livres et des paons présentera son travail autour d’« Au dessous du volcan » de Malcom Lowry. Edition précieuse de quelques pages du livre pour bibliophiles avertis, puis pages qui prennent leur envol en grand format comme un éclaté de l’oeuvre, avec des dessins et des pièces entrant dans la composition du livre. Un chef d’oeuvre littéraire, un grand artiste étonnant de modestie : il ne faudra pas rater cette exposition !

Anne Simonet-Avril
article paru dans le n° 18, mai/juin 2009

A la Fondation Blachère, l'hommage à Rosa Park ou la force du refus

Sur fond d’effet Obama, le sénégalais Ndary Lo présente un hommage à « celle qui a osé dire non ». Une œuvre unique conçue aux dimensions du centre d’art aptésien, où l’artiste convoque la mémoire de l’esclavage et met en scène son panthéon personnel des « hommes debout ».
Au centre, il y a le bus, ou plutôt son effigie. Une trace au sol figure la place assignée à chacun, petits carrés blancs, places délimitées et réservées prioritairement aux Blancs dans l’Amérique de la ségrégation raciale. C’est le fantôme du bus de Montgomery (Alabama) où voyageait une certaine Rosa Parks, le 1° décembre 1955, le jour où elle refusa de céder sa place à un homme blanc. A partir de ce geste de résistance s’organisa le boycott des bus américains lancé par un pasteur quasi-inconnu alors, un certain Martin Luther King.
Autour de cette évocation centrale, le plasticien sénégalais Ndary Lo a construit une œuvre unique, aux dimensions du centre d’art tout entier, 400 mètres carrés plongés dans le noir et mis en lumière par Pierre Jaccaud, le directeur artistique du lieu. Un hommage à « celle qui a osé dire non », la première d’une lignée d’hommes et de femmes incarnant la force du refus. Aux murs, Aimé Césaire, Angela Davis, Nelson Mandela portraiturés en noir et blanc à la façon d’Andy Warhol côtoient Patrice Lumumba ou Barak Obama. « C’est un extrait de mon Panthéon personnel », explique Ndary Lo. « Vingt-deux personnes debout qui ont lutté contre la ségrégation raciale ». D’autres, artistes, critiques d’art, hommes politiques, sont présents par vidéos interposées, mêlés à des extraits de films, jalons historiques témoignant de leurs combats.
Ce Panthéon rejoint les figures en marche, silhouettes métalliques, décharnées, qui traversent depuis toujours l’œuvre très politique de ce plasticien. « Pour moi, être artiste, c’est être engagé », explique cet homme disert, maniant le verbe tout autant que le pinceau ou les matériaux de récupération, éléments de base de ses sculptures. Dans son atelier des faubourgs de Dakar, Ndary Lo vit entouré de silhouettes à la Giacometti. « Cela m’a pris au retour d’un séjour en France. J’ai voulu figurer les Africains debout, les mettre en marche ». D’autres silhouettes, plus pathétiques, peuplent son univers : des pantins de chiffons grandeur nature, comme ceux qu’il avait entassés dans un bus africain, première mouture de son hommage à Rosa Parks présenté en 2005 à la Biennale de Dakar. Entre-temps, l’évocation centrale a évolué vers l’épure, le sculpteur a approfondi la peinture, et la galerie de portraits n’a cessé de s’élargir. « Ce travail est un work in progress », expliquait-il lors du vernissage à la fondation Blachère. Constituant le fond de l’installation, la « Muraille verte » est une forêt d’hommes-arbres, les bras en forme de branches tendues vers le ciel. Un cri collectif contre l’avancée du désert.
La chair de l’œuvre elle-même est éloquente. Les chaînes suspendues au-dessus du bus fantôme sont faites d’ossements ramassés sur l’île de Gorée. Elles évoquent la mémoire de l’esclavage, « le contact du fer avec la chair de l’esclave ». Les peintures intègrent de l’extrait de café, référence à l’histoire des plantations. « En peignant, je me suis aperçu que le café fonctionnait comme un retardateur sur l’acrylique », constate le peintre qui a mis à profit cette découverte pour peaufiner ses portraits. Quant à Barack Obama, il figurait déjà au Panthéon de Ndary Lo bien avant d’être élu. «Le simple fait qu’un Américain d’origine africaine soit candidat face à Mc Cain était déjà une victoire », se souvient l’artiste. Depuis, l’effet Obama a pris son essor. Prolongeant le refus de Rosa Parks, il participe d’une même vague historique. C’est cette unité, revisitée par un regard africain, que donne à voir l’exposition.

Carina Istre
Jusqu’au 31 mai 2009. Entrée libre. Tel 04 32 52 06 15.
Article paru dans le numéro 17 du mars/avril 2009