Miquel Barcelo, entre Terre et Mer


Miquel Barcelo
"Peix Blau", céramique
sur tombeau de Clément V,
moulage de plâtre, 1924,
Palais des Papes, Avignon.
Copyright Miche Barcelo-ADAGP,
 cliché Franck Couvreur.

Le maire d’Avignon, Marie-José Roig dont les origines sont catalanes, est une inconditionnelle de Miquel Barceló. L’idée de cette grande exposition a donc germé lors d’une rencontre en 2006, à l’occasion du spectacle Paso Doble. Lui voulait investir le Palais des Papes. La mairie souhaitait renouer avec les grandes expositions. Evènement inédit, les clés de trois lieux prestigieux de la ville lui furent alors confiées : le musée du Petit Palais, le Palais des Papes et la Collection Lambert.
Le commissariat général est assuré par Eric Mézil, directeur de cette dernière, Yvon Lambert connaissant l’artiste depuis ses débuts bien qu’il n’en soit pas le marchand. Le commissariat de l’exposition du musée du Petit Palais est assuré conjointement par Dominique Vingtain, conservateur du musée et Joana Maria Palou, directrice du Museu de Mallorca.
Miquel Barceló est né en en 1957 à Majorque où il a fait ses études à l’école des Arts décoratifs de Palma pour les poursuivre ensuite à l’école des Beaux-Arts de Barcelone. Reconnu très jeune, il est actuellement un des cinq grands artistes au monde. Il pratique aussi bien la peinture que la sculpture, le dessin ou la céramique.

Au musée du Petit Palais

Le musée du Petit Palais expose les œuvres qui constituent les influences culturelles de l’artiste.
Il s’agit des œuvres représentatives de l’art gothique majorquin du XIIIe au XVe siècle. Présentées pour la première fois en France, leur exposition à Avignon prend un sens tout particulier puisque au XIVe siècle les rois de Majorque se sont rendus en Avignon, en audience chez les Papes. Cette exposition marche donc dans les pas de l’histoire.
Elle donne à voir un art gothique majorquin proche du gothique européen de la même époque, avec cependant des influences islamiques.
Quelques précisions historiques s’imposent. Le royaume de Majorque fut créé au XIIIe siècle par Jacques Ier dit le Conquérant, né à Montpellier en 1208. Ce royaume était constitué des îles Baléares (Majorque, Minorque, Fontanera et Cabrera) alors sous domination arabo-andalouse, du Roussillon, de la Cerdagne dont actuellement une partie appartient à l’Espagne et plus précisément à la Catalogne, l’autre faisant partie des Pyrénées orientales. S’y ajoutait le Conflent, aujourd’hui à cheval sur le Languedoc-Roussillon et les Pyrénées orientales et dont la ville principale est Prades, le Vallespir en Pyrénées orientales et la seigneurie de Montpellier. Ce royaume possédait deux capitales : Majorque – aujourd’hui Palma - et Perpignan. Les territoires aujourd’hui français, le sont devenus au XVIIe siècle par la signature du traité des Pyrénées en 1659, entre l’Espagne et la France.
Un royaume donc de terres bordées et entourées de mer qui a donné son nom à l’exposition; dans la mesure aussi, où Miquel Barceló est profondément majorquin et catalan, vivant une partie de l’année sur son île.
Majorque est alors au Moyen-âge, un carrefour politique, commercial et culturel où les navigateurs viennent rendre compte aux géographes de la configuration des contrées qu’ils ont visitées. Ainsi les cartes, les mappemondes sont nombreuses dans les collections et présentent dans l’exposition. Elles ont frappées Barceló qui en a peint ou dessiné des plus ou moins imaginaires dont ses fameuses Termites : œuvres peintes au lavis sur papier, déposées un temps dans des termitières en Pays Dogon (où il séjourne aussi). Les termites mangent le papier de manière aléatoire donnant à voir, une fois retirées, des cartes géographiques imaginaires.

Au Palais des Papes

Au Palais des Papes on peut voir les œuvres récentes et inédites de l’artiste, sur lesquelles il travaille généreusement depuis six mois. La Grande Chapelle est particulièrement investie. Elle est transformée en musée lapidaire d’un genre un peu particulier. La terre par la médiation de la céramique occupe l’espace. Il a, spécialement pour l’occasion, racheté à Majorque un four à briques désaffecté et employé à nouveau les ouvriers auxquels il a demandé de fabriquer les mêmes briques de construction. D’une trentaine de centimètres de long, elles sont peu pigmentées et leur ton clair se marie admirablement avec ceux des salles du Palais des Papes. Respect du lieu. Choix d’une technique différente de celle employée pour la chapelle de la cathédrale de Palma pour laquelle il s’était allié le savoir-faire d’un céramiste de Naples.
Miquel Barceló est un érudit dont l’imagination est alimentée par la thématique de la Vanité. Ainsi tout un bestiaire animalier envahit le Palais, des chats, des chiens, des animaux blessés, faisant échos à ceux qui jalonnent l’histoire de l’art et à celui du Palais des Papes. Vanité de la vanité, un éléphant en bronze, en équilibre sur sa trompe trône sur le parvis du Palais et deviendra certainement un des symboles de cette exposition.
Enfin, hommage à l’Artiste qu’il admire. Miquel Barceló a très vite voulu qu’on lui fournisse les photographies de l’accrochage de la grande exposition Picasso qui s’est tenue dans cette même Grande Chapelle en 1970. Têtes de gargouille, masques, céramiques sont accrochées dans les trous faits en 1970. Filiation assumée pour cet artiste tout aussi protéiforme que Picasso.

A la Collection Lambert

A la Collection Lambert, sont présentées un ensemble d’œuvres des années 2000 liées à la Terre, à l’Afrique, au bestiaire marin, essentiellement des grands formats sur papier dont la plupart n’ont jamais été exposés. Les “fonds marins” imprègnent pour longtemps les rétines, l’accrochage XIXe des poissons met en joie tandis que celui d’un grand format représentant une barque vient confirmer la première impression qui nous saisie en entrant dans la salle : on se sent immergé sous l’eau, au milieu de cet univers marin et par-là même dans celui de Barceló.
Etonnement face aux portraits à la Javel. Inversant le principe de l’aquarelle qu’il pratique par ailleurs (voir les très belles femmes africaines en bleu), Barceló utilise du papier noir en fonds, sur lequel il dessine à l’eau de Javel. Apparaissent alors des portraits d’albinos dont un connaît le statut en Afrique où un sort souvent tragique leur est réservé.
Natures mortes aux fruits exotiques ou symboliques, coquillages déposés par la marée, paysage à la Turner, céramiques accidentées et molles rappelant le spectacle qu’il donna avec Josef Nadj, en 2006, au Festival d’Avignon, complètent cette présentation dont l’accrochage, réalisé par Eric Mézil, est particulièrement réussi.

Olivia Gazzano, paru dans le n°25, juillet-août 2010.

Terra-Marè, Miquel Barceló. Exposition du 27 juin au 7 novembre 2010. 
Un catalogue de 380 pages est édité chez Actes Sud, à moins de 40 euros. Découpé en trois parties égales, une pour chaque lieu, il comporte un texte de Miquel Barceló, historien de l’art, un homonyme natif de Majorque, qui établira la passerelle entre ces îles, les continents et l’histoire médiévale. Alberto Manguel, ancien lecteur de Borges et passionné de bibliothèques réelles ou imaginaires, propose un essai nouveau sur ces dix années de création, entre peintures solitaires dans l’atelier et commandes monumentales, de la Cathédrale de Palma au plafond surdimensionné de l’ONU à Genève. Joana Maria Palou i Sampol y a réalisé des notices autour des œuvres médiévales en relation avec le Père Gabriel Llompart, grand spécialiste de l’art majorquin. Enfin, Eric Mézil, commissaire de l’exposition et directeur de l’ouvrage y présente un entretien avec l’artiste, fruit de longues conversations entre Paris, Majorque et Avignon.

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