Attention ! Lâcher de rhino ...

« Ha !! bientôt les R.I.P » (Rencontres Internationales de la Photographie) me suis-je exclamé l’autre jour en voyant les nouveaux programmes fleurir dans les boutiques. Soixante expos à découvrir, de nouvelles images, de nouveaux regards, même ce bon vieux Mick (Jagger) sera de la partie cette année.
Donc durant un bref instant, je me suis réjouie que ma ville délaisse son costume traditionnel pour revêtir son habit culturel. Mais c’était sans compter sur cette angoisse insidieuse qui naissait en moi : « Le safari-photo ». Je sens l’incompréhension poindre à ce stade de votre lecture. Un instant, je développe.
Ce que je nomme « Safari-photo » se déroule durant la première quinzaine d’ouverture des R.I.P. La ville se remplie d’une faune étrange, badgée à l’effigie de l’affiche annuelle (cette cuvée est un rhinocéros rose aux cornes vertes), appareil photo en bandoulière, magazine artistique sous le bras et téléphone dernier cri vissé à l’oreille.
Ce sont les : PRO
Les pros se divisent en plusieurs castes.
« L’argentique baroudeur badgé » repérable de loin à sa veste saharienne, dont les multitudes petites poches contiennent des « cartouches à images ». Armé de la sorte, « l’argentique baroudeur badgé », erre et traque sa proie : l’autochtone ! En bas des maisons, à l’angle du mini-marché de quartier, à la sortie de votre voiture, l’argentique est là, prêt à tirer pointant son arme en mode rafale sur vous, ou votre chien, même votre poisson rouge…
« Le numérique badgé » est plus vicieux, sournois, moins détectable « vestimentairement parlant », il se fond dans la masse, s’assoie aux terrasses des cafés (c’est justement sa posture statique, sa main greffée à un petit appareil photo, le plus souvent camouflée sous la table, qui le rend repérable), et attends sa proie, il guette, épie, scrute et tire… Coriace à éviter celui-là !!!
Il y a aussi, et j’avoue que ce sont mes préférés, les addicts du « shooting de macadam ». Pour les trouver, rien de plus simple, ils sont souvent dans une posture particulière, quatre pattes, tournant autour de 4cm2 de bitume surchauffé en plein milieu d’une route ou d’une rue. Le shooteur de macadam vous fera un signe de la main autoritaire afin que vous arrêtiez votre véhicule le temps qu’il immortalise ce bout d’asphalte…
Comme cette attitude est assez récurrente, je me questionne ; et si le macadam Arlésien était une sorte de terre promise ignorée par ses usagés ???
Les badgés, toutes castes confondues, ont pour doctrine de toujours arborer de manière nonchalante leur « laisser passer ». Vous les croisez dans les soirées, à 1h00 du matin, quand toutes les expos et conférences de la journée sont terminées, un verre à la main, rhinocéros roses à cornes vertes autour du cou comme s’ils étaient nés avec ! Vous finissez même par vous dire : « Mince, je n’aurais pas autant d’assurance avec un rhino en guise de collier !!! ».
Du 3 au 13 Juillet, je vais donc rentrer dans une phase de paranoïa aigue, la peur du flashage intempestif va m’envahir. Mais cette année, c’est juré, on ne m’y reprendra plus, je ne vais donc plus enfiler le premier vêtement qui traîne au pied de mon lit, je n’aurais plus le cheveu hirsute et le regard bovin pour aller acheter ma baguette matinale !!!
Grâce, poses étudiées pour boire mon café en terrasse, démarche aérienne, port de tête remarquable, voilà le quotidien qui m’attend pour ne pas risquer l’horreur photographique. Je vous abandonne donc vite pour m’entraîner.
Les expos de cette 41e édition des R.I.P ?? Je les découvrirais après le 13 Juillet, sereinement, en tongs et cheveux rebelles … J’espère vous y croiser chers lecteurs, mais sans appareil photo !! Par pitié…

Sophie Aubert, paru dans le n° 25, juillet-août 2010
http://www.cpascomdhabitude.com/

Les trésors archéologiques de la Campagne d'Egypte

Pendant trois ans, d’avril 1798 à l’automne 1801, a lieu sur les terres égyptiennes, une entreprise insensée, la Campagne d’Egypte menée par Bonaparte dans sa lutte contre la Grande-Bretagne.
Terrible pour les soldats mal préparés, cette expédition est un échec militaire mais elle aboutit à un résultat qui transforme totalement la connaissance de la civilisation et de la terre des pharaons : une moisson de découvertes archéologiques et scientifiques unique.
Car pendant que les militaires ferraillent d’autres bataillons sillonnent le pays en tous sens. Ceux des savants, archéologues, mathématiciens, géographes, architectes, dessinateurs, sculpteurs, botanistes ils sont plus de 160 qui accompagnent le corps expéditionnaire de Bonaparte.
Un des plus célèbres ouvrages qui en résulte reste celui que dirige Vivant Denon, (futur directeur des musées sous Napoléon), la Description d’Egypte ou le recueil des observations et recherche qui ont été faites pendant l’expédition française, publié en 1810. Livre monumental de 19 volumes, au format exceptionnellement important – il faut alors construire un meuble spécial pour le ranger il rend compte du travail prodigieux menés par ces savants, observations scientifiques, descriptions, relevés.
On fête cette année le bicentenaire de son édition et le Château de Gordes a eu l’excellente idée de recevoir l’exposition que lui a consacrée une équipe d’égyptologues. Des pièces inconnues du grand public, comme la quarantaine d’objets égyptiens du musée de Hanovre, des gravures, dessins et documents originaux y sont présentés.
Pour la première fois, on peut ainsi admirer les dessins originaux de l’architecte et égyptologue Jean-Baptiste Lepère, conservés au musée de Cologne et restés secrets pendant plus de 200 ans.
L’exposition relate également les autres grandes expéditions scientifiques du XIXe siècle et les beaux ouvrages qui en découlèrent, ceux de Denon, Champollion, Rosellini, Prisse d’Avennes et Lepsius.
Une restitution virtuelle en 3D du site de Tell el-Amarna complète ces trésors en restituant le travail des scientifiques contemporains qui s’appuient sur les découvertes de leurs précurseurs.

Cécile Mozziconacci, paru dans le n°25, juillet-août 2010.

Egypte, les grandes expéditions, XVIIe et XIXe siècle. Château de Gordes, jusqu'au 26 septembre 2010. Commissariat : Thierry-Louis Bergerot, directeur de la revue Egypte Afrique et Orient et Florence Saragoza, conservateur du patrimoine à la DRAC Aquitaine et Christian Loeben, conservateur au Museum August Kestner de Hanovre.

Bédoin, terre de potiers

Alors que la mémoire de l’activité des terraiés de Bédoin est en train de se perdre, une exposition restitue cet été quinze ans de fouilles archéologiques menées sur Bédoin et les communes environnantes. Elle permettra de fixer les connaissances acquises pour les périodes allant du Ier au XXe siècle.
C’est la découverte fortuite, en 1994, d’une villa gallo-romaine qui lança la campagne de fouilles, sur l’emplacement d’une piste d’atterrissage d’hélicoptère pour le Tour de France. Mentionnée dans aucun texte, cette habitation de 1000 m² appelée depuis villa des Bruns, atteste d’une présence gallo-romaine du 1er au VIe siècle après J.C. La céramique que l’on y trouva est datée du IVe siècle.
Puis c’est à Mazan qu’une autre découverte majeure s’effectua, en 1996. Si au Pègue, près de Saint-Paul-Trois-Châteaux, les Gaulois ont copié un motif de céramique grecque importée de Marseille, à Mazan, c’est l’atelier d’un potier italien venu s’installer ici au Ier siècle ap J.C. qui fut découvert. Ou plutôt ses productions : de magnifiques plaques dites Campana et un cheval, reproduction exacte des chevaux se trouvant dans le temple des Dioscures (Castor et Pollux), à Rome ! La découverte effectuée par le groupe archéologique de Carpentras, sous la direction de Dominique Carru, laissa pantois.
De nouveau à Bédoin, est mis à jour dans une rue, un four datant de l’an mil et 27 kilos de poteries. Les textes attestent que durant la période médiévale, Bédoin se spécialise dans cette activité. Au XVe siècle, des potiers aptésiens viennent se former chez eux. On retrouve en effet des similitudes de techniques et de formes dans les poteries d’Apt de cette période. Similitude aussi avec la poterie médiévale de Saint-Quentin la Poterie. Comme à Bédoin, la matière première est d’une qualité exceptionnelle : une argile kaolinique réfractaire qui fait évoluer les modes culinaires. Les pots et plats réalisés dans cette matière peuvent être posés sur des braises plus fortes, permettent de cuire les aliments plus longtemps et faire mijoter. Cette céramique sera exportée à Avignon, à Marseille, à Nîmes ...
L’aventure ne fait que commencer. Beaucoup de données n’ayant pas encore été exploitées, un programme de recherche inédit en son genre va être lancé : il alliera le CNRS, l’université, le service départemental d’archéologie, les communes et la Cove (la communauté d’agglomérations).

Olivia Gazzano, paru dans le n° 25, juillet-août 2010.

Potiers à Bédoin, 2000 ans de tradition. Centre culturel de Bédoin, jusqu’au 19 septembre 2010.
Commissaire Catherine Richarté (INRAP), à l'intiative de la Communauté d'agglomération Ventoux-Comte-Venaissin. Catalogue de synthèse, sous la direction de Catherine Richarté (Inrap). 124 pages, 15 euros.

Gordes célèbre Willy Ronis

Willy Ronis aurait eu 100 ans au mois d’août. Ce maître de la photographie préparait avec le Jeu de Paume une rétrospective de son œuvre pour l’espace Simiane de Gordes. Les 80 photographies de l’exposition, visible cet été, rendent hommage à cet amoureux de Paris et de la lumière du Midi, qui a toujours chercher à capter la beauté du quotidien.


Né à Paris en 1910, ce fils d’Europe centrale avait choisi de s’installer en Provence. De sa petite maison de Gordes, qu’il avait découvert après la guerre, on connaît le merveilleux « Nu provençal » qui immortalise sa jeune femme faisant sa toilette dans un clair obscur admiré du monde entier.
Willy Ronis aurait pu être musicien, mais à 22 ans il doit reprendre la boutique de son père, photographe de quartier à Paris. Ses premiers clichés sont remarqués et son destin tracé.
Il devient photographe de presse, fréquente Cartier-Bresson, Robert Capa, et rejoint après la guerre, avec Doisneau et Brassaï, l’agence Rapho, vivier des grands reportages. Avec ces autres géants de la photographie, il milite pour que celle-ci soit reconnue comme un art et participe au mouvement humaniste.
Il travaille pour des magazines comme Time, Life, Regards, puis se consacre dans les années 60 à la mode et à la publicité. Définitivement installé à l’Isle sur la Sorgue en 1972, il sera l’enseignant de bien heureux étudiants à Aix en Provence, Marseille et Avignon.
Lors des rencontres d’Arles qui lui rendaient hommage en 2009, peu de temps avant son dernier départ, il confie : « Je ne crois pas en la perfectibilité de l’homme, mais il y a suffisamment de braves gens pour que l’on ait pas à désespérer. » Photographe engagé, sensible au monde du travail, il ne cessera d’explorer et de rendre compte, depuis ses premiers reportages en 1936 sur le Front populaire, de la vie des classes sociales les plus démunies. Car pour lui et cette exposition en témoigne, photographier est un moyen d’exprimer son ressenti des réalités sociales, sa version du réel.

Cécile Mozziconacci, paru dans le n° 25, juillet-août 2010.

Jacques Lartigue, l'Empailleur de bonheur


Jacques Henri Lartigue
"Automobile Delage au Grand prix
 de l'Automobile Club de France, 12 juillet 1913".
Copyright Ministère de la Culture-France/AAJHL

Avec Jacques Henri Lartigue, c’est la douceur de vivre qu’il nous est donnée d’apprécier. La mode de la Belle époque et des Années folles, avec ces femmes aux longues robes, mains cachés dans leurs manchons de fourrure, se laisse contempler au fil des clichés. La plage, les sports nautiques, les champs de course, tous ces nouveaux loisirs des classes aisées et du début du XXe siècle sont égrainés. Les exploits des premières automobiles et de drôles d’engins volants retiennent particulièrement son attention et celle de son frère surnommé Zissou. La vitesse le fascine. Et sa famille, toujours sa famille qu’il ne cessa de photographier depuis l’âge de sept ans, lorsqu’il reçut un appareil photographique en cadeau, des mains de son père.
Je suis un “empailleur de bonheur” se plaisait-il à dire rétrospectivement.
La photographie n’était pourtant pas son métier, mais son hobby. Et c’est à ce titre qu’il exposa en 1955 avec Gens d’images auprès de Brassaï, Doisneau, Ronis et Man Ray. C’est la profession de peintre qu’il a voulu embrasser. Il en vivait pourtant chichement. Et c’est le hasard qui le fait rencontrer en 1962 le conservateur du musée d’Art moderne de New-York, alors qu’il était en Californie et qu’un problème de transport le contraint à faire un détour par New-York. Séduit par ses tirages, celui-ci en fait une exposition en 1963 qui le rend célèbre dans le monde entier ! Jacques Henri Lartigue est alors reconnu comme l’un des plus grands photographes au monde, à l’âge de 69 ans.
Commence alors une autre vie. Il est l’invité d’honneur aux Rencontres photographiques d’Arles en 1972. Il devient le photographe du Président Valéry Giscard d’Estaing en 1974. Paris le consacre en 1975 par une exposition au Musée des Arts Décoratifs puis au Grand Palais. En 1979, il fait don de ses œuvres et de son journal manuscrit à l’Etat français. Il meurt à Nice en 1986, à l’âge de 92 ans, célèbre.
Curieux destin que celui de cet homme qui, parmi les grands photographes du XXe siècle, est sans doute celui qui a commencé son art le plus tôt et qui a été reconnu le plus tard.

Olivia Gazzano, paru dans le n°25, juillet-août 2010.

Jacques Henri Lartigue, exposition rétrospective. Musée Angladon. Ouvert tous les jours de 13h à 18h sauf lundi. Tél 04 90 82 29 03. 5 rue Laboureur Avignon. http://www.angladon.com/. Collections permanentes : Degas, Daumier, Manet, Sisley, Van Gogh, Cézanne, Picasso, Modigliani… Salons du 18e siècle.

Miquel Barcelo, entre Terre et Mer


Miquel Barcelo
"Peix Blau", céramique
sur tombeau de Clément V,
moulage de plâtre, 1924,
Palais des Papes, Avignon.
Copyright Miche Barcelo-ADAGP,
 cliché Franck Couvreur.

Le maire d’Avignon, Marie-José Roig dont les origines sont catalanes, est une inconditionnelle de Miquel Barceló. L’idée de cette grande exposition a donc germé lors d’une rencontre en 2006, à l’occasion du spectacle Paso Doble. Lui voulait investir le Palais des Papes. La mairie souhaitait renouer avec les grandes expositions. Evènement inédit, les clés de trois lieux prestigieux de la ville lui furent alors confiées : le musée du Petit Palais, le Palais des Papes et la Collection Lambert.
Le commissariat général est assuré par Eric Mézil, directeur de cette dernière, Yvon Lambert connaissant l’artiste depuis ses débuts bien qu’il n’en soit pas le marchand. Le commissariat de l’exposition du musée du Petit Palais est assuré conjointement par Dominique Vingtain, conservateur du musée et Joana Maria Palou, directrice du Museu de Mallorca.
Miquel Barceló est né en en 1957 à Majorque où il a fait ses études à l’école des Arts décoratifs de Palma pour les poursuivre ensuite à l’école des Beaux-Arts de Barcelone. Reconnu très jeune, il est actuellement un des cinq grands artistes au monde. Il pratique aussi bien la peinture que la sculpture, le dessin ou la céramique.

Au musée du Petit Palais

Le musée du Petit Palais expose les œuvres qui constituent les influences culturelles de l’artiste.
Il s’agit des œuvres représentatives de l’art gothique majorquin du XIIIe au XVe siècle. Présentées pour la première fois en France, leur exposition à Avignon prend un sens tout particulier puisque au XIVe siècle les rois de Majorque se sont rendus en Avignon, en audience chez les Papes. Cette exposition marche donc dans les pas de l’histoire.
Elle donne à voir un art gothique majorquin proche du gothique européen de la même époque, avec cependant des influences islamiques.
Quelques précisions historiques s’imposent. Le royaume de Majorque fut créé au XIIIe siècle par Jacques Ier dit le Conquérant, né à Montpellier en 1208. Ce royaume était constitué des îles Baléares (Majorque, Minorque, Fontanera et Cabrera) alors sous domination arabo-andalouse, du Roussillon, de la Cerdagne dont actuellement une partie appartient à l’Espagne et plus précisément à la Catalogne, l’autre faisant partie des Pyrénées orientales. S’y ajoutait le Conflent, aujourd’hui à cheval sur le Languedoc-Roussillon et les Pyrénées orientales et dont la ville principale est Prades, le Vallespir en Pyrénées orientales et la seigneurie de Montpellier. Ce royaume possédait deux capitales : Majorque – aujourd’hui Palma - et Perpignan. Les territoires aujourd’hui français, le sont devenus au XVIIe siècle par la signature du traité des Pyrénées en 1659, entre l’Espagne et la France.
Un royaume donc de terres bordées et entourées de mer qui a donné son nom à l’exposition; dans la mesure aussi, où Miquel Barceló est profondément majorquin et catalan, vivant une partie de l’année sur son île.
Majorque est alors au Moyen-âge, un carrefour politique, commercial et culturel où les navigateurs viennent rendre compte aux géographes de la configuration des contrées qu’ils ont visitées. Ainsi les cartes, les mappemondes sont nombreuses dans les collections et présentent dans l’exposition. Elles ont frappées Barceló qui en a peint ou dessiné des plus ou moins imaginaires dont ses fameuses Termites : œuvres peintes au lavis sur papier, déposées un temps dans des termitières en Pays Dogon (où il séjourne aussi). Les termites mangent le papier de manière aléatoire donnant à voir, une fois retirées, des cartes géographiques imaginaires.

Au Palais des Papes

Au Palais des Papes on peut voir les œuvres récentes et inédites de l’artiste, sur lesquelles il travaille généreusement depuis six mois. La Grande Chapelle est particulièrement investie. Elle est transformée en musée lapidaire d’un genre un peu particulier. La terre par la médiation de la céramique occupe l’espace. Il a, spécialement pour l’occasion, racheté à Majorque un four à briques désaffecté et employé à nouveau les ouvriers auxquels il a demandé de fabriquer les mêmes briques de construction. D’une trentaine de centimètres de long, elles sont peu pigmentées et leur ton clair se marie admirablement avec ceux des salles du Palais des Papes. Respect du lieu. Choix d’une technique différente de celle employée pour la chapelle de la cathédrale de Palma pour laquelle il s’était allié le savoir-faire d’un céramiste de Naples.
Miquel Barceló est un érudit dont l’imagination est alimentée par la thématique de la Vanité. Ainsi tout un bestiaire animalier envahit le Palais, des chats, des chiens, des animaux blessés, faisant échos à ceux qui jalonnent l’histoire de l’art et à celui du Palais des Papes. Vanité de la vanité, un éléphant en bronze, en équilibre sur sa trompe trône sur le parvis du Palais et deviendra certainement un des symboles de cette exposition.
Enfin, hommage à l’Artiste qu’il admire. Miquel Barceló a très vite voulu qu’on lui fournisse les photographies de l’accrochage de la grande exposition Picasso qui s’est tenue dans cette même Grande Chapelle en 1970. Têtes de gargouille, masques, céramiques sont accrochées dans les trous faits en 1970. Filiation assumée pour cet artiste tout aussi protéiforme que Picasso.

A la Collection Lambert

A la Collection Lambert, sont présentées un ensemble d’œuvres des années 2000 liées à la Terre, à l’Afrique, au bestiaire marin, essentiellement des grands formats sur papier dont la plupart n’ont jamais été exposés. Les “fonds marins” imprègnent pour longtemps les rétines, l’accrochage XIXe des poissons met en joie tandis que celui d’un grand format représentant une barque vient confirmer la première impression qui nous saisie en entrant dans la salle : on se sent immergé sous l’eau, au milieu de cet univers marin et par-là même dans celui de Barceló.
Etonnement face aux portraits à la Javel. Inversant le principe de l’aquarelle qu’il pratique par ailleurs (voir les très belles femmes africaines en bleu), Barceló utilise du papier noir en fonds, sur lequel il dessine à l’eau de Javel. Apparaissent alors des portraits d’albinos dont un connaît le statut en Afrique où un sort souvent tragique leur est réservé.
Natures mortes aux fruits exotiques ou symboliques, coquillages déposés par la marée, paysage à la Turner, céramiques accidentées et molles rappelant le spectacle qu’il donna avec Josef Nadj, en 2006, au Festival d’Avignon, complètent cette présentation dont l’accrochage, réalisé par Eric Mézil, est particulièrement réussi.

Olivia Gazzano, paru dans le n°25, juillet-août 2010.

Terra-Marè, Miquel Barceló. Exposition du 27 juin au 7 novembre 2010. 
Un catalogue de 380 pages est édité chez Actes Sud, à moins de 40 euros. Découpé en trois parties égales, une pour chaque lieu, il comporte un texte de Miquel Barceló, historien de l’art, un homonyme natif de Majorque, qui établira la passerelle entre ces îles, les continents et l’histoire médiévale. Alberto Manguel, ancien lecteur de Borges et passionné de bibliothèques réelles ou imaginaires, propose un essai nouveau sur ces dix années de création, entre peintures solitaires dans l’atelier et commandes monumentales, de la Cathédrale de Palma au plafond surdimensionné de l’ONU à Genève. Joana Maria Palou i Sampol y a réalisé des notices autour des œuvres médiévales en relation avec le Père Gabriel Llompart, grand spécialiste de l’art majorquin. Enfin, Eric Mézil, commissaire de l’exposition et directeur de l’ouvrage y présente un entretien avec l’artiste, fruit de longues conversations entre Paris, Majorque et Avignon.

Béatrice Arthus-Bertrand : ne pas se fier aux apparences


Béatrice Arthus-Bertrand
"Burkas", 2006-2007.
In situ : les Murs de la Tuillière,
Saint-Marcellin-les-Vaison.

C’est à Saint-Marcellin-les-Vaison que l’on pourra apprécier cet été les œuvres de Béatrice Arthus-Bertrand et de huit autres artistes, du 10 au 14 juillet.
Elle procède par collectage d’objets naturels et récupération des rebus de notre société : des galets, des bidons, des déchets ménagers, des interrupteurs, des tessons de verre poli, des outils remisés. Elle dit pouvoir passer des journées entières à ramasser tout ce qui l’intéresse et trouve dans cette activité des débuts d’idées. C’est sans doute, plus qu’une manière de travailler, un état, dans lequel elle se sent bien et qu’elle avoue pratiquer depuis l’âge de douze ans, sur les plages bretonnes.
Elle empile, use de la répétition, de la juxtaposition, accumule les objets comme, par exemple, les fourchettes et les brosses à dents pour un luminaire destiné à Jean-Paul Blachère.
Elle a une prédilection pour la verticalité. Des troncs dont la matière brute est adoucie sont érigés en totems. Noircis, couleur mazout, ou brulés, ils sont hérissés de galets enchâssés dans du ciment et forment une colonne vertébrale ou une épine dorsale, soulignant la station debout tandis que les veines du bois deviennent motif. Un leitmotiv dans son œuvre.
On connaît aussi d’elle ses tableaux de galets sensuels, qu’elle a voulu sanctuariser avant leur fin, écœurée par les marées noires que la Bretagne nord a subies. Car derrière ces œuvres esthétiques, se profile une femme engagée et parfois révoltée. Comme tout un chacun, elle s’intéresse au monde qui l’entoure. Elle lit, écoute, regarde et réagit au fil de ses déceptions, de ses révoltes et de ses colères. Il en est ainsi de sa sculpture “Murs bidons”, empilement de géricanes couleur kaki, qu’elle a réalisé en réaction aux murs passés et présents, érigés pour séparer les hommes et qui lui semblent si dérisoires. Ses “burkas” qu’elle présentera aux Murs de la Tuilière durant cinq jours, en sont un autre exemple. Réalisées entre 2006 et 2007, bien avant la proposition de loi, elles sont tout autant un questionnement qu’un positionnement. Affaiblies, exploitées, instrumentées ou incomprises, qui sont ces femmes qu’elle voit déambuler dans les rues de Paris et plus encore de Londres, toujours en groupe, sans doute pour se protéger ? Privées d’identité, elles irritent et présentent une atteinte aux personnes qu’elles croisent. Elles sont représentées dans cette sculpture par cinq troncs façonnés à la tronçonneuse dans un mouvement elliptique suggérant le mouvement de la marche et le balancement de leurs vêtements, puis noircis à l’encre de Chine qui, avec la lumière, leur donne un aspect métallique. Pour aller plus loin dans son questionnement, elle interrogera prochainement une de ces femmes portant la burka. Une démarche qui s’inscrit plus globalement dans une thématique sur la femme qui l’occupe en ce moment. Cette sculpture constitue toutefois un travail un peu à part puisqu’il est plutôt figuratif, ses autres totems ne “représentant” pas un être ou une chose définis. On pourra le vérifier sur place puisque quatre ou cinq d’entre eux seront exposés sur le site ainsi que de plus petites sculptures. Vous pourrez la rencontrer, ainsi que les huit autres artistes, le jour du vernissage et le jour du concert.

Olivia Gazzano, paru dans le n° 25, juillet-août 2010.

Mémoires de guerres, guerre des mémoires

Carole Challeau, " Tripailles, 2010".
copyright : Carole Challeau
Le musée d’Histoire Jean Garcin : 39 – 45 L’Appel de la Liberté, situé à Fontaine-de-Vaucluse, fête cette année les vingt ans de sa création avec une exposition d’œuvres d’artistes contemporains appelés à revisiter la question de la Guerre.
Créé en 1990 par la volonté de Jean Garcin (1917-2006), alors Président du Conseil général (1970-1992) et grand résistant en Vaucluse et en Provence, ce lieu se veut un musée-citoyen.
Composé de trois parties, il a été scénographié par Willy Holt (1921-2007), chef décorateur de cinéma ayant travaillé avec les plus grands réalisateurs américains et français et ayant reçu le César du meilleur décor de cinéma en 1987 pour Au revoir les enfants de Louis Malle.
La première partie du musée évoque l’Occupation et le quotidien des Français fait de restrictions. Illustrée par quantités d’objets collectés ou donnés au musée, elle permet d’appréhender de manière concrète la période de la guerre. La deuxième partie présente les figures de la Résistance en Vaucluse et les actes de résistance menés tandis que la troisième propose une réflexion sur ce que représentent les idéaux de la Résistance.
Pour la première fois, des œuvres ponctueront le parcours et la scénographie du musée, proposant une seconde lecture, en parallèle de la lecture historique. Des regards d’artistes sur la Guerre, les guerres, celles qui ont suivies : Vietnam, Liban, Irak, ...
Des artistes qui interrogent la Guerre à leur manière : en faisant appel à la mémoire, en suscitant l’émotion, en mettant en scène la peur, la mort, la disparition, l’absence, l’absurdité par le truchement de vidéos, d’installations, du dessin, de la photographie, ...
Ils sont seize au total et aucun n’a connu la Seconde Guerre mondiale. Mais tous sont abreuvés, tout comme nous, quotidiennement, d’images de guerre à la télévision. Tous, comme nous, connaissent les épisodes de la Seconde Guerre mondiale par le biais de l’enseignement scolaire, des documentaires télévisés ou radiophoniques, de lectures, des musées mémoriels, des témoignages directs de ceux qui l’on vécut. Une profusion de connaissances qui réécrit la guerre dans les esprits de chacun.
Aux côtés des artistes déjà reconnus, une place plus importante a été donnée à l’expression de deux artistes qui ont moins de quarante ans.
Carole Challeau, née à Tournai en Belgique et vivant à Avignon, s’est vu attribué plusieurs espaces pour ses installations. L’une d’entre elles, réalisée en passementerie et broderie, évoque la peur viscérale que l’on peut éprouver en temps de guerre. “Mes projets proposés pour le musée s’articulent sur l’idée du corps inerte physique ou symbolique, de ses restes et de sa trace où trône la mort en filigrane. Le corps physique se réduira à un fragment organique : les intestins, entrelacs de tripes, siège de la peur. Cette création sera un volume cloué à même le mur, composé de tissus, voiles, passementeries et broderies. Cette sorte de béance d’où jaillirait un flot grouillant de couloirs organiques portera à l’excès jusqu’à l’écœurement dans son exubérance baroque.”
Pablo Garcia, né en 1983, a choisi d’investir quant à lui, la façade vitrée du musée et a proposé une “Barricade”, image de résistance.

Olivia Gazzano, paru dans le n° 25, juillet-août 2010.

Que nuages ... Histoire et propos d’artistes. Commissaire de l'exposition : Christine Blanchet. Musée d’Histoire Jean Garcin : 39-45 L’Appel à la Liberté. Fontaine de Vaucluse, du 3 juillet au 4 octobre 2010. Téléphone : 04 90 20 24 00. Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18 h00. Tarifs : 3,50 euros, réduit : 1,50 euros. Artistes présents : Fiona Banner, Pascal Bernier, Jean-Sylvain Bieth, Christian Boltanski, Jean-Marc Cerino, Carole Challeau, Pascal Convert, Pablo Garcia, Gérard Gasiorowski, LP LT, Robert Morris, Zad Moultaka / Yalda Younès, Alexandre Nicolas, Sophie Ristelhueber, Didier Tallagrand.

Regards d'Afrique, rêves de ville

Baudouin Mouanda,
série "la Sape" République du Congo, 2008.
Fondation Blachère, Apt (Vaucluse)
Musée des Confluences, Lyon.
Les lauréats de la Fondation Blachère à la Biennale de Bamako invités à poser un libre regard sur Lyon et ses habitants dans le cadre de « passages », à l’initiative du Musée des Confluences. Un atelier photo dans l’esprit des ateliers de Joucas.
Regarder librement la ville, telle est l’invitation lancée aux cinq photographes lauréats de la fondation Blachère à la Biennale de Bamako. Dans le cadre de « passages », événement organisé à Lyon par le Musée des Confluences, la fondation a été sollicitée pour organiser des ateliers photo dans l’esprit des Ateliers de Joucas qui furent, on s’en souvient, une véritable réussite artistique et humaine. « Après les « Frontières » des Rencontres de Bamako, ces lignes qu’il faut reculer ou transgresser pour se dépasser soi-même, il était logique que nos cinq jeunes artistes africains continuent leur route sur le thème de « Passages » à Lyon, avec Sammy Baloji en éclaireur et Malick Sidibé en passeur», observe Claude Agnel, administrateur de la fondation. Mohamed Bourouissa, Nestor Da, Baudouin Mouanda, Zanele Muholi et Uche Okpa-Iroha auront donc carte blanche, du 28 mai au 7 juin, entre Rhône et Saône, pour « rêver la ville », thème donné comme fil conducteur. «Ils élaboreront un carnet de voyage à propos de l’architecture, des gens, des lumières, de la ville… Ces impressions seront ensuite imprimées dans un tiré à part et distribuées gratuitement », explique Pierre Jaccaud, directeur artistique de la Fondation. A partir du 28 mai, les jardins de la Fondation Bullukian accueilleront le travail réalisé en Afrique par les étudiants des Beaux-arts, puis, au fur et à mesure de la semaine, le travail réalisé à Lyon par les photographes africains.
Comme il l’avait fait à Joucas, le portraitiste Malik Sidibé, Lion d’or à la Biennale de Venise 2007, quittera son quartier de Bamako pour implanter son Studio sur le balcon de la Fnac Bellecour et à la Croix-Rousse. Les visiteurs pourront s’y faire photographier. De leur côté, les cinq lauréats installeront des studios éphémères dans le quartier de la Guillotière. En avant-première de l’événement « passages », Sammy Baloji, représentatif de la jeune photo africaine soutenue par la Fondation, en résidence à Lyon, s’immerge en mars dans les collections du musée des Confluences, en parcourt les réserves, choisit ses coups de cœur et réalise les clichés qu’il accrochera à la Fondation Bullukian à partir du 28 mai. Ces regards croisés posés sur la ville prendront ensuite, jusqu’au 8 juin, possession de la rue sous forme d’affiches dans les réseaux tram, bus, métro.

Carina Istre, paru dans le n°24, mai-juin 2010


Apt-Bamako, l'Afrique côté photo


Pierre Jaccaud, Stéphanie Hugues
 (Fondation Jean-Paul Blachère)
avec Nestor Da, à la biennale de Bamako

La Fondation Blachère a choisi de booster cinq talents émergents du continent africain et de la diaspora, repérés à la Biennale de la photographie. Le début d’une aventure qui va se poursuivre jusqu’en 2011.
Jeans et boubous se pressent dans la cour du centre culturel Hampaté Ba, autour du jus de gingembre et des beignets. La nuit et le son de la kora nous enveloppent peu à peu. Nous sommes dans le quartier populaire de Missira, à Bamako. C’est ici, dans le fief d’Aminata Traoré, aux côtés des gens du quartier, que la Fondation Jean-Paul Blachère a choisi de récompenser cinq lauréats sélectionnés dans le cadre de la Biennale de la photo. A Bamako, tous les deux ans, convergent les photographes et vidéastes africains, mais aussi les galeries et collectionneurs du monde entier. Dans ce carrefour de la création africaine, la Fondation d’entreprise ancrée en pays d’Apt intervient en électron libre. Voilà six ans qu’elle a pris pour parti de booster les talents du continent et de la diaspora, en prenant pour champ d’intervention l’art contemporain. Avec des workshops, des expositions en France et en Afrique, des résidences d’artistes, elle s’est forgé une crédibilité. Elle a gagné la confiance de grandes figures, dont Malick Sidibé, premier photographe et le premier africain couronné par un Lion d’Or à la Biennale de Venise.
Ce soir, Malick a quitté son célèbre studio pour venir en voisin participer à la fête. Griot malicieux, il distille des leçons de sagesse à sa façon. Il raconte comment, enfant pauvre mais doué, il est venu à la photo par une succession de malchances…qui se sont avérées être des chances. C’est à lui que revient la tâche de féliciter les lauréats de la Fondation. Ils sont cinq photographes, très émus. Le jury, explique Pierre Jaccaud, directeur artistique de la Fondation, « a fait le choix de la surprise, de la nouveauté ». Il ne s’agit pas de récompenser des noms reconnus, mais plutôt d’aider des talents à s’affirmer, de leur donner un champ d’expression plus large, des ouvertures nouvelles. Le contenu des prix illustre bien cette démarche : la Fondation n’offre pas de chèques, mais des opportunités de création et de visibilité. Ainsi les cinq artistes seront invités à exposer leurs photographies dans le centre d’art de la Fondation Blachère à Apt du 28 octobre 2010 au 16 Janvier 2011. Ils participeront également à un workshop de dix jours à Lyon, au printemps 2010, en collaboration avec le Musée des Confluences. Et l’un d’entre eux, récompensé par le prix «jeune création » attribué avec le concours de la compagnie Air France et du laboratoire HRA-Pharma, bénéficiera en plus d’une résidence de six mois à l’Ecole nationale de photographie d’Arles. L’heureux élu est Nestor Da, jeune plasticien burkinabé. Ses compositions entre photo-collages, photo-montages, réintégrant notamment des images de magazine, révèlent des pistes de recherches plastiques très personnelles. Nestor Da « peint » en utilisant l’outil photo, et une bonne dose d’humour. Autodidacte, artiste en émergence, son séjour à Arles devrait l’aider à avancer dans sa propre voie.
Les autres lauréats illustrent la diversité de la photo africaine. Baudouin Mouanda (Congo-Brazzaville) aborde avec des cadrages dans le vif de l’action le phénomène urbain et décalé de la « Sape » (Société des ambianceurs et personnes élégantes) à Paris et Brazza. Zanele Muholi, femme photographe et porte-parole des droits des lesbiennes en Afrique du Sud, met en scène des personnages homosexuels en détournant le concept de la photo de mode. Elle poursuit aussi un travail controversé sur le corps intime des femmes noires. L’énergie de Lagos est perceptible dans les images d’Uche Okpa-Iroha. Membre d’un collectif qui poursuit l’exploration de la métropole nigériane, il livre des images d’une étrange poésie qui racontent « La vie sous le pont », lieu improbable où chacun s’est reconstitué un chez-soi . Mohamed Bourouissa, n’est plus un inconnu pour les initiés. Ce Français d’origine algérienne compose des allégories contemporaines inspirées du quotidien des banlieues. Du coup, cette réalité-là échappe aux pages faits-divers pour entrer dans les galeries d’art. Cinq itinéraires à suivre, dans les mois qui viennent, au fil des actions de la fondation.

Carina Istre, paru dans le n°22, janvier-février 2010.

La sculpture, pour nous aider à vivre

C’est dans le cadre approprié de la Chapelle du Collège de Carpentras que sont exposées jusqu’au 24 octobre une cinquantaine de sculptures en marbre et en bronze du sculpteur pernois Vincent Lievore. Une occasion rare de découvrir son travail dans toute son ampleur.
Avec Vincent Lievore, la Sculpture et sa définition ne sont pas galvaudées. Si la taille de la pierre est maîtrisée, elle n’est pas un but en soi, mais au service de l’Idée. Comment construire l’espace ? C’est la question récurrente de son travail. Il y apporte ses réponses au travers de deux thématiques : les Personnages et les Paysages. De ses Personnages - qu’ils soient humains ou animaliers -, statiques ou en mouvement, en tension ou en traction, se dégage une dynamique stimulante génératrice d’énergie donnant le sentiment qu’ils œuvrent pour un grand projet qui sous-tend la réalisation.
Quant aux Paysages, n’est-ce pas une gageure de vouloir réaliser des paysages en sculpture ? Pourtant, le pari est gagné. En contrepoint, en intégrant des éléments figuratifs sans être au service d’un système narratif, ils apportent une énergie apaisante par leur caractère contemplatif. De ces deux pôles prétextes à son travail émergent les deux grandes thématiques de sa réflexion : le Temporel et l’Intemporel. L’espace est du temps.
C’est en maîtrise d’arts plastiques à la faculté d’Aix-en-Provence, il y a 25 ans, qu’il décide de devenir sculpteur “à cause” de la Gigantomachie représentée sur le grand autel de Pergame et d’un travail en art contemporain demandé par un professeur. L’enseignement des arts plastiques et de l’histoire de l’art en faculté a ceci d’incohérent qu’il est décousu. On n’y enseigne pas l’art de manière chronologique. S’insurgeant contre cet état de fait, il propose à son professeur de traiter le sujet d’art contemporain demandé en partant de l’art de l’Antiquité et dans ses recherches découvre cette frise époustouflante ramenée d’Asie Mineure au XIXe siècle et installée au Pergamon Museum de Berlin. Elle représente les Dieux et les Géants combattants dans la fureur et la rage. Et c’est tout particulièrement la section de la frise où Athéna combat les Géants qu’il retiendra.
Cette découverte est un choc et fixe son avenir. Il se formera quelques temps dans une entreprise de funéraire puis acquerra surtout le métier au fil des nombreux symposiums de sculptures auxquels il participera dans le monde : Mexique, Argentine, Chine, Japon, Canada, France, allant jusqu’à concourir dans des symposiums de sculpture sur neige dont celui de Valloire, très réputé et de portée internationale dont il remportera le premier prix en février 2009 après avoir obtenu la deuxième place l’année précédente. Autant de défis, de terrains de jeu et de réflexion.
Organisées par des villes, ces rencontres de sculpteurs auxquels, en résumé, on donne un gros bloc de pierre dans lequel ils doivent, en une semaine, réaliser la thématique donnée, sont un formidable moyen de pouvoir s’exprimer, faute de commande publique, d’intégration de la sculpture dans les concours d’architecture et dans les projets d’aménagement du cadre de vie.
Car, à quoi sert la sculpture ? Vincent Lievore répond à cette question sans détour ni phrase alambiquée : “ A vivre, à se sentir mieux.” “La sculpture a une vertu. Malheureusement, on intellectualise de façon stupide en confondant la fin et les moyens. L’art n’est pas une fin en soi, il doit entrer en correspondance avec tout un chacun”.
Une invitation à aller éprouver sa sculpture à la Chapelle du Collège.

Olivia Gazzano, paru dans le n°20, septembre-octobre 2009.

Vincent Lievore, sculptures. Chapelle du Collège, rue du Collège, Carpentras. Jusqu’au 24 octobre 2009. De 9h30 à 12h30 et de 14h30 à 18h30, du mardi au samedi.

Jules César va-t-il devenir objet de marketing et perdre de son imposante stature ?


Caius Julius Caesar aurait-il retrouvé son statut d’Imperator en même temps que sa sortie des eaux ?
Vat- il écraser de sa prestance et de sa rareté les autres œuvres présentées dans cette exposition ?
Jules César va-t-il devenir objet de marketing et perdre de son imposante stature ?
Ou serait-il déjà la nouvelle Joconde, que les visiteurs viennent voir en masse en oubliant d’ouvrir les yeux sur les merveilles exposées juste à côté ?
Certains dénoncent par voix de presse le manque de porte-clés et mug à son effigie, mais quel en serait l’intérêt ? Que chacun puisse en avoir un illusoire bout ?
Malheureusement la terrible machine me semble déjà enclenchée. C’est en me promenant dans la cité Romaine que je suis tombée face à face avec un Jules César « stickerisé » sur les vitrines d’un marchand de chaussures, de lunettes, tiens de saucissons !! Même des chocolats avec son visage ont vu le jour. Extraordinaire, pour quelques euros vous pouvez vous délecter d’un Imperator dictateur sorti des eaux…
Et ne croyez pas que je ne sois pas pour la démocratisation de l’art, bien au contraire ! Arrêtons de sacraliser les lieux artistiques, arrêtons de subir l’égocentrisme redondant de certains conservateurs dans leurs explications masturbatoires sur l’art, mais de grâce ne vulgarisons pas les œuvres, les hommes, la vie !

Mais revenons à Jules, je me permets de l’appeler par son prénom étant donné que nous sommes intimes maintenant puisqu’il m’accompagne dans mes courses quotidiennes…
Cette exposition est d’une qualité rare, la muséographie est magnifique, des pièces d’une beauté et d’une singularité y sont présentées.
Il y a même au premier étage un autre petit bijou à découvrir, l’exposition de MARK DION, que malheureusement peu de personnes ont pris la peine de voir. Ne lisez pas le livre d’Or qui se trouve à l’entrée (sic) car si vous le faisiez, vous rebrousseriez immédiatement chemin … Laissez vous aller, oubliez que vous êtes venus voir Jules, donnez la chance à votre esprit et votre affect d’être touchés, émus, déstabilisés par cet homme et son œuvre.
Regardez le film de Nicolas Pascariello,( montage vidéo dynamique, musique géniale mais malheureusement non stipulée dans le générique de fin) qui vous permettra de découvrir dans de confortables fauteuils, l’envers du décor du montage d’une exposition.
Écouter Mark Dion vous raconter avec humour et une sensibilité touchante, ses plongées dans le Rhône, sa découverte des lieux, des œuvres du microcosme de ce musée.
Mark Dion nous ouvre les portes du monde muséal et archéologique, celui des réserves, bureaux, « cabinet de curiosités », mêlant la didactique à la création avec un grain de folie enthousiasmante, faisant un lien entre le visiteur et un monde méconnu. Regardez ses objets, traces du monde contemporain, s’entrelacer avec ceux tirés des collections du Musée Arlaten et les réserves archéologiques. Osez ouvrir les tiroirs du « cabinet de dessin » afin d’en découvrir de manière privilégiée ce qu’il renferme.
Le « salon des glaces » fait de tessons de verres surexposé dans la lumière agressive de néons, telles les tables lumineuses utilisées par les photographes « au temps de l’argentique », est d’un esthétisme fort. Mark Dion révèle les stigmates de ces bouts de verres ébréchés par l’érosion, le temps ou la maladresse humaine et en constitue un vrai tableau harmonieux.
Cette exposition nous mène à une vraie introspection temporelle. Ne passez pas à côté !!

Sophie Aubert, paru dans le n°23 mars- avril 2010.
http://www.cpascomdhabitude.com/

César, le Rhône pour mémoire. Musée départemental de l’Arles antique. Exposition jusqu'au 19 septembre 2010. Tél. 04 90 18 88 88 http://www.arles-antique.cg13.fr