Denis Brihat, des images et des mots

Voilà plus de cinquante ans qu’il a installé son atelier de photographe sur le plateau des Claparèdes, puis à Bonnieux. Denis Brihat poursuit son travail d’alchimiste, une œuvre silencieuse et patiente, attentive à révéler l’âme des choses. Nous avons parcouru ensemble l’exposition qui lui est consacrée à L’Isle sur la sorgue. L’homme, amical sous des airs bourrus, d’une exigence absolue, ne s’embarrasse pas de préciosités verbales. Sa parole est rare, dense. Des mots de diamant brut, jaillis au fil des images.

Préambule : Trois doigts, saisis de façon rapprochée. « Ceci est un autoportrait. Je prenais des photos, j’ai approché l’appareil de ma main ».

Picasso : « A l’époque, sur la côte, les quelques artistes qui vivaient là se connaissaient tous. Envers lui, il y a avait une certaine déférence, évidemment. Il était venu me chercher pour que je fasse des repros des premiers portraits de Jacqueline. J’étais allé chez lui. Il m’a dit : restez donc, j’organise un apéro avec des copains. En attendant que tout le monde arrive, il s’est amusé avec ses biques, il a fait l’idiot, il m’a littéralement donné des photos »

L’époque des Claparèdes : « Aux Claparèdes, j’avais restauré une ruine, un petit cabanon, grand comme ça, deux bories et un puits. Je remontais les seaux du puits pour laver les photos. Ca, c’est du pipi de photographe dans de l’eau de vaisselle. C’était un matin d’hiver. Au cabanon, j’avais pris l’habitude de mettre mes eaux usées dans une bassine. Ce matin-là, il faisait frisquet, je n’ai pas eu le courage de sortir, j’ai fait pipi dans la bassine. Quand j’ai vu que ça prenait des formes inattendues, j’ai enfilé un pantalon, j’ai sorti la bassine et j’ai photographié les formes qui étaient déjà en train de disparaître. Ce travail-là je savais que c’était invendable à l’époque. Ce genre de photos n’intéressait strictement personne. Mon économie était très économique !»

Les gens de Bonnieux : « Les gens du pays ont été très sympas, ils m’ont fait des tas de cadeaux. Là, c’est César, un copain, photographié au bistrot du village. Et là, le facteur auxiliaire et violoniste de Bonnieux. On l’appelait Caporal. Voilà la Jeannette. Elle me refilait des camemberts soit disant périmés parce que la croûte blanche était paraît-il trop fine. Et Marcel, le mari de Jeannette. Un type merveilleux. L’un des hommes les plus extraordinaires que j’aie rencontrés dans ma vie. Il était marchand de bois. C’était un conteur. Pendant la guerre, il avait une vieille guimbarde avec laquelle il ravitaillait le maquis du grand Luberon. »

La structure : « Ce qui m’intéressait, c’était la structure des choses. Dans l’eau de la bassine, la coupe d’une truffe... Là, un bout de marbre sur un pilier de San Miniato, à Florence. Ce pilier était exposé à la vue de tous depuis longtemps, les gens ne voyaient rien. J’ai dit au curé : «Regardez, c’est Jésus-Christ déguisé en clown ! Il ne s’en est pas remis, je crois ! Ici, un petit bout d’une peinture. C’était dans l’atelier de Prassinos. J’ai vu des craquelures sur un tableau. Il y avait une harmonie, quelque chose. J’ai fait contre-types pour accentuer le contraste. Un galet : j’ai regardé, j’ai vu qu’il était foutu comme un tableau cubiste. Qui influence qui ? »

Un citron : « Je prends un sujet, citron ou autre. Je le photographie sous tous les angles, de dessus, de dessous, de côté, en travers. Comme Bach, en toute modestie. Prendre un thème, et le décliner de toutes les façons possibles. J’ai appelé ça « Esprit du citron ».

Etre photographe : « C’était lors de ma première expo à Biot, en 52. Les gens du pays venaient. L’un d’eux m’a dit : « Tu vois, là tu dis que tu as photographié un fruit, un légume, eh ben moi, j’y vois autre chose ! » Là, je me suis dit : si tu peux faire rêver les gens avec tes photos, c’est un beau programme…Il y a des gens qu’on appelle boulangers, ils ont appris à faire le pain, ils le font bien, ils le font pour les autres. Moi, je fais des photos, je donne des choses à voir. Je n’ai pas le sens du pognon, je gagne seulement de quoi continuer, le plaisir de pouvoir continuer. »


Carina Istre

Isle/Sorgue, Campredon, Denis Brihat photographies (1958-2011). Exposition du 22 octobre 2011 au 4 février 2012.