Derain sculpteur : la vie des formes en mouvement

Depuis près de onze ans, la Fondation Angladon-Dubrujeaud revisite avec succès des aspects méconnus des grands mouvements artistiques occidentaux. Après les expositions consacrées à « Degas en blanc et noir », à Forain, à Signac en Provence et au « Secret des Estampes » en 2006, la Fondation propose de découvrir jusqu’au 6 janvier 2008 une collection étonnante de sculptures, de gravures, d’illustrations de livres et de costumes de théâtre réalisés par le peintre Derain.
Avant même de pénétrer dans la Fondation et de découvrir les nouvelles expositions permanentes, les visiteurs ont pris l’habitude d’aiguiser leur curiosité en déchiffrant les affiches. « La femme au long cou », fière, altière et gracieuse comme une gazelle de la savane, image d’appel de l’exposition consacrée à « Derain sculpteur », fait indéniablement penser aux sculptures de Gauguin. À juste titre car Derain, plus connu du grand public pour son appartenance aux Fauvistes, a été influencé par Gauguin. En parcourant l’exposition, les visiteurs ne sont pas au bout de leurs surprises.
En effet, ils découvrent avec bonheur dans l’une des salles au rez-de-chaussée une série de sculptures, vraies « figures mythologiques grimaçantes ». Matérialisations concrètes de l’intérêt de Derain pour l’expressionnisme primitif de la sculpture archaïque de l’ancienne Egypte, de l’Italie et de la Grèce. Là, l’œil et l’esprit plus ou moins avertis des visiteurs plongent dans un décor merveilleux d’antiquaire du début du siècle, laboratoire avancé des cabinets de curiosité des surréalistes.
« Beauté rayonnante, Femme à la Coiffe » de 1912 constitue la pièce centrale d’un ensemble de bronzes. Elle dénote chez Derain une volonté de spiritualiser le visage féminin et de traduire dans un style nouveau l’esprit des portails décorés des cathédrales gothiques. Le syncrétisme entre le classicisme grec, le formalisme cézannien et l’archaïsme de l’art africain est total. L’intention première de Derain est communicative. On ressent son besoin de « briser le cercle dans lequel nous ont enfermés les réalistes ».
Dans une deuxième salle, toujours au rez-de-chaussée, les relations de Derain avec l’art africain apparaissent, splendides, en pleine lumière. Ce qui l’intéresse — il a subit avec éclat « l’épreuve du feu » rayonnante et sacré des Fauves —, c’est la capacité de ces artistes venus d’un autre monde à faire surgir matière, formes, couleurs et lumière d’une substance première indéterminée. Certes Picasso, Braque et Matisse ne sont pas loin. Mais on éprouve face aux sculptures de Derain une recherche unique d’harmonie apaisée par la force inhérente de ces formes ainsi assemblées.
Gravures sur bois, décors de théâtres et autres illustrations de livres, particulièrement bien mis en valeur dans les autres salles, confirment l’impression d’un Derain, en pleine période révolutionnaire de bouleversement des ordres établis, en quête d’une paix intérieure alimentée à la source d’une énergie créatrice universelle. L’exposition est une illustration brillante de la philosophie esthétique de Derain pour qui « l’art, l’origine des arts plastiques est toute magique… L’art c’est l’invention d’une joie… C’est la pénétration interne des choses ».
Derain sculpteur, une manifestation exemplaire de l’idée selon laquelle la matière n’attend qu’une étincelle pour s’animer d’une vie étonnante de nouveautés et de richesses insoupçonnées
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Michel Ban, n° 9, novembre/décembre 2007

Michel Duport à la galerie Eric Linard

Succédant à Claude Viallat et à Bernard Pagés dans ce bel espace d’exposition dédié à l’art contemporain, Michel Duport investit complètement le lieu, brouille les pistes, bouleverse l’espace. Accrochant dans un angle, il réussit la prouesse de l’abolir et crée un mur d’un seul tenant sur lequel il peint directement, d’abord un rythme de bandes noires, puis des formes qui feront partie d’une future œuvre en relief : ombres étranges des modules en plâtre colorés. Sur un autre pan de mur, il installe une rangée de « sellettes » colorées. « J’accroche mes œuvres comme des tableaux pour qu’elles soient vues d’un regard frontal, dit-il. Certes, on peut les regarder par tous les bords avec leurs volumes, mais ce sont des tableaux, pas des sculptures. Je ne pose jamais rien par terre, précise-t-il. »
Jeu de formes, jeu de couleurs. Promenade dans l’histoire de l’art. L’œil joue, la galerie s’anime, puis une impression de familiarité nous gagne. Formes et couleurs sont à la fois nouvelles et familières : on reconnaît comme un hommage à... Michel Duport ne dément pas : « J’aime raconter l’histoire de l’art, revisiter les formes des années trente. »
Revisiter ? Questionner ! De belles couleurs, dans les aplats comme dans les vibrations ou les textures des fonds, sur les formes en plâtre, mais peu de couleurs assemblées. À cela, il répond que la figure ultime de la peinture est le monochrome mais qu’il est, lui, de tendance polychrome. D’où ce traitement particulier de la couleur : jamais plus de deux ou trois ensemble, en quelque sorte des « bichromes », des « trichromes ». Une toile rouge voisine avec une toile bleue ; posées sur de petits socles jaunes, elles refusent l’horizontalité et nous offrent un superbe bain de couleur.
Pour nous visiteurs, il y a presque un côté enfantin. Par moment, on pense à une étonnante chambre d’enfant, chaque couleur franchement séparée de sa voisine, des formes simples parfois répétitives, oui, vraiment, un jeu de formes, jeu de cubes, de construction, d’assemblage, quelque chose de proche des origines du design : une invitation au jeu ?

Anne Simonet-Avril, n° 9, novembre/décembre 2007

Bernard Calvet Une peinture séduisante et méditative

On a plaisir à entrer dans la peinture de Bernard Calvet faite des objets rassurants du quotidien, d’espaces lumineux et d’ombres bleutées.
Terrasses de bistrots avec ses tables et ses chaises, places méridionales, linges de maison, sa peinture décrit des motifs qui nous sont familiers. Pourtant l’intérêt de sa peinture ne réside pas là. Ils ne sont que le prétexte à suggérer la présence/absence des hommes : chaise repoussée, bicyclette négligemment posée contre un mur ou un platane indiquent leur passage et invitent à imaginer une histoire qui se passe hors champ.
La lumière reste l’essentiel de sa peinture. Elle prédomine dans les premiers plans abstraits faits de pure couleur et qui occupent souvent plus du tiers du tableau, reléguant les motifs au titre d’accessoire, dilatant l’espace et donnant cette sensation de peinture silencieuse et métaphysique.
Corollaire de la lumière, les ombres, bleutées, tempèrent la luminosité qui se dégage des toiles et les adoucissent. Négatifs des motifs, ces ombres en sont en quelque sorte le contrechamp donnant à voir une autre réalité, intérieure celle-ci et aussi vaste que ses premiers plans.
Champ, hors champ, champ, contrechamp, présence/ absence, lumière et ombres : la peinture de Bernard Calvet est plusieurs fois bipolaire, c’est à dire équilibrée. A cela s’ajoutent les dimensions de ses toiles, souvent carrées ou proche du carré qui les éloignent de la peinture de paysage ou de la nature morte et contribuent à leur conférer cet aspect paisible et méditatif.

O.Gazzano, n°9, novembre/décembre 2007

Sculptures monumentales de Lehmbruck à César

Après les expositions des oeuvres de Niki de Saint-Phalle en 2005 et celles de Keith Harring en 2006, la Fondation Salinger (Le Thor) propose cette année dans les jardins de la Bastide Rose, une exposition de 14 sculptures monumentales provenant du musée Wilhelm Lehmbruck de Duisbourg, en Allemagne.
Réalisée grâce à la collaboration active du directeur du musée qui considère que le discours du président Kennedy “Ich bin ein Berliner” a été fondamental pour la réunification de l’Allemagne et a donné l’espoir aux Allemands de retrouver leur pays unifié, l’exposition présente les sculptures de Wilhelm Lehmbruck, Henry Moore, Henri Laurens, Jacques Lipchitz, Edwin Scharff, Klaus Simon, Kenneth Armitage, Bryan Hunt, Alf Lechner, Marta Pan, Berto Lardera, Eduardo Paolozzi, Ruud Kuijer et César qui sont habituellement exposées dans la ville de Duisbourg.
Elle propose au travers de ces artistes un panorama de la sculpture au XXème siècle: ni liée à un commanditaire, ni subordonnée à une iconographie. La sculpture au XXème siècle est autonomne. L’artiste choisi seul ses sujets, les techniques et les matériaux employés, les formats. Elle n’imite plus la réalité, elle exprime une idée, une vision ou une sensation. Elle est faite pour être regardé pour elle-même, pour qu’on y tourne autour, pour s’attacher à l’abstraction de ses volumes et à l’espace qui l’entoure. Elle est avant tout un expérience sensorielle.
Cette exposition donne ainsi à voir quatorze manières différentes d’aborder la sculpture au fil du XXème siècle, de Wilhelm Lehmbruck, décédé en 1919, disciple d’Auguste Rodin et de Maillol à César, disparu en 1998, assembleur et soudeur de génie.


Olivia Gazzano, n°8, septembre/octobre 2007

John F. Kennedy aurait eu 90 ans cette année

Le musée Pierre Salinger propose actuellement une exposition, “Instants d’Années”, consacrée à J.F. Kennedy qui aurait eu 90 ans cette année. Constituée de photographies, souvent inédites, elle retrace le parcours hors du commun d’un homme exceptionnel.
Pierre Salinger, né en 1925 à San Francisco d’une mère française et d’un père juif allemand, a vécu au Thor, dans sa demeure de la Bastide Rose les dernières années de sa vie après avoir mené durant quarante ans une carrière de journaliste aux Etat-Unis, à Paris et à Londres. Familier du clan Kennedy, il avait orchestré la campagne présidentielle du futur président, été devenu son porte-parole à la Maison Blanche en 1961 et après l’assassinat de celui-ci jusqu’en 1964. Peu avant son décès, survenu en octobre 2004, il avait créée avec sa femme, l’association Les Jardins de Poppy pour favoriser l’amitié franco-américaine à travers l’art et tout particulièrement la sculpture monumentale.
A son décès, l’idée de consacrer un musée à sa prestigieuse carrière journalistique, politique et littéraire s’imposa à son entourage , dans la mesure où il laissait une somme de témoignages écrits, photographiques, vidéos et d’objets personnels. La visite de ce musée est en effet pour le moins singulière et passionnante: on y aborde la politique américaine durant les années soixante, au temps de la guerre froide, à travers des photographies prises en séances de travail avec le président Kennedy, d’autres plus intimes provenant de la famille, ou encore, des photographies prises en URSS lors de sa rencontre avec Kroutchev. Une manière très vivante de se replonger dans la politique internationale du XXème siècle, accentuée par les commentaires de la responsable du musée. Néerlandaise, passionnée de président Kennedy depuis l’enfance et amie de Pierre Salinger, elle ponctue le parcours d’anecdotes qui donnent toute sa saveur à la visite. On aurait jamais imaginé pouvoir pénétrer dans l’intimité de ces deux hommes prestigieux en se rendant au Thor !

Olivia Gazzano, n°8, septembre/octobre 2007

Un cheminement de sculptures

Sur les hauteurs moyennageuses du village de Gigondas, entre murailles et église, sculptures de pierre, de métaux et de bois se donnent à voir au fil des heures, des jours et des saisons, au gré de la lumière.
Les blocs de marbre vert des Alpes de Pascal Liengme semblent avoir été déposés là par les glaciers qui les ont jadis recouverts, sculptés et transportés. Ils nous ramènent à un passé antédiluvien où l’homme n’existait pas et dont les traces qui nous restent sont les coquilles des mollusques prises au piège des dépôts sédimentaires. Pascal Liengme en a reproduit et accentué les images qui font échos aux fossiles que l’on trouve dans le massif des Dentelles de Montmirail toutes proches. Et la proximité de l’église amènent à s’interroger sur la création du monde, racontée de manière mythique auparavant et scientifique maintenant. Celle du cimetière, interroge le devenir humain et désenchante le monde au regard des sciences actuelles.
Les sculptures d’acier et de béton de Michel Argouges, telles des sentinelles, veillent sur les entrées du château. Tandis que les drapeaux rouges de Karl Manfred Rennertz en signalent au loin la présence.
Le doré de ses bois sculptés rappellent celui des icônes et des primitifs italiens. Il fait écho à celui de la châsse de Guillaume Liffran, objet insolite fait d’une peau chimique qui se déssèche et se craquelle de plus en plus au cours du temps et d’une pierre des Dentelles dont la pesanteur est retenue à la toile de peau par un fil d’acier.
Ses objets poétiques et volants ressemblent à des bâteaux spaciaux sortis d’un conte inconnu. Accrochés dans la pénombre des salles du château, ils font penser à des vaisseaux fantômes qui errent dans la nuit des temps. Rêves d’apesanteur contrecarrés par ces pierres suspendues toujours présentes.

Olivia Gazzano, n°7, juillet août 2007