Ouverte au public depuis le 12 décembre 2010 et jusqu’au 8 mai 2011- normalement-, l’exposition de la Collection Lambert en Avignon, destinée à marquer ses dix ans d’existence, est devenue l’objet d’une polémique à cause ou grâce -selon le point de vue que l’on choisi- à une photographie d’Andres Serrano intitulée « Immersions (Piss Christ) ».
1/LA VISITE
2/ LA POLEMQUE ET LA DESTRUCTION DE L’OEUVRE
1 / LA VISITE
Depuis le 12 décembre 2010 le public peut découvrir cette exposition, destinée à mettre en valeur d’une part les artistes présents dans la collection d’Yvon Lambert et d’autre part le collectionneur lui-même. Elle a pour prétexte le dixième anniversaire du musée d’art contemporain qui a ouvert au début de l’été 2000 à Avignon et qui porte le nom du galeriste et collectionneur vençois, parisien et new-yorkais.
Elle est aussi une rétrospective des 27 précédentes expositions et à peu prêt une centaine d’artistes y sont représentés. Cette exposition esquisse, par ailleurs, la personnalité et la vie du collectionneur ainsi que son goût pour les artistes qui s’inscrivent dans une histoire de l’art.
On peut y voir la jeune génération du Land Art ainsi que les pères fondateurs dont un inédit de Christo, une œuvre préparatoire à celle du Pont Neuf. Sol Le Witt qui représente les débuts de la collection d’Yvon Lambert, y est bien représenté. L’art conceptuel aussi : avec par exemple, les trois boites de Joseph Kosuth, œuvres datant de 1965, représentant une boite en bois, sa photographie et sa définition telle qu’on la lit dans un dictionnaire, ou bien par Zilvinas Kampinas et sa bande magnétique flottant dan l’air en élaborant un mouvement sophistiqué par un simple système de ventilation qui souligne l’économie de moyen employé. Il est encore présent dans sa version chargée d’affectif avec les valises de Zoé Léonard, empilées jusqu’à atteindre la taille de son père, déporté en camp de concentration.
La vidéo de la finlandaise Salla Tykka quant à elle, en déconstruisant les procédés cinématographiques, démontre que le cinéma arrive à créer une narration avec seulement une musique connue et des cadrages, sans scénario racontant une histoire.
On passe au cours de la visite dans un cabinet de curiosité revisité par Eric Mézil, le directeur du lieu, cabinets dont il a la passion et dont celui-ci dialogue avec des oeuvres contemporaines minimalistes acquises par Yvon Lambert qui l’a nommé à ce poste.
Puis on redescend par l’escalier étroit dont la cage a été recouverte de manière très réussie des cadres noirs sans portraits transcrivant le poids de l’absence.
Au rez-de-chaussée, on découvre le collectionneur bibliophile qui offre à ses artistes la possibilité de réaliser un ouvrage. Sont présents ici ceux de Daniel Buren, On Kawara, entre autres ainsi que des ouvrages anciens de bibliophilie. On peut aussi y voir le dernier Sol Le Witt réalisé en France, les ballots de l’artiste d’origine coréenne Kimsooja et dans une vitrine, un curieux cadeau fait par Jean-Michel Basquiat à Yvon Lambert alors qu’il était encore totalement inconnu et qu’il se trouvait à Amsterdam pour se procurer sa drogue : un sabot hollandais peint de sa main. Figure aussi un manteau donné par Azzedine Alaïa pour la mère du collectionneur.
Passé cet intermède dans la vie plus intime du collectionneur, on retrouve la collection elle-même avec l’étonnant portrait en diamants de Marlène Dietrich (2004) par le brésilien Vik Muniz. Pour réaliser cette série de portraits de stars, il s’est fait enfermer dans une banque, la nuit. Puis il a réalisé ses portraits avec des milliers de diamants et les pris en photo. Au petit matin, l’œuvre originale est toujours détruite parce que les diamants sont recomptés, seule l’image reste, sur fonds noir, telle une Vanité.
Plus loin, on aperçoit une étoile faite de croix. Quand on s’approche, on se rend compte qu’en fait de croix, se sont des matraques. Une œuvre cynique de Kendell Geers, datant de 2007, réalisée avec des matraques achetées à Soweto.
On s’achemine vers la fin de l’exposition en passant devant la série des assiettes cassées de Julian Schnabel datant des années quatre-vingt pour terminer ce panorama par une vidéo de onze minutes de Mark Wallenger, « Au seuil du royaume » : une musique au ralenti, un plan fixe, des hôtesses en uniforme qui peut soit vous laisser de marbre, soit assombrir fortement votre sortie du musée.
2/ LA POLEMIQUE ET LA DESTRUCTION DE L’ŒUVRE
Au cours de la visite, on peut voir plusieurs photographies d’Andres Serrano. Rappelons que le musée a consacré en 2007 une exposition monographique de ses Portraits des comédiens de la Comédie Française. Celui de Denis Podalidès figure d’ailleurs dans l’exposition actuelle. L’artiste, à l’occasion de cet anniversaire a offert 120 de ses photographies à la Collection Lambert parce qu’Yvon Lambert a été le premier à l’exposer à Paris et tester ainsi sa réception. Parmi elles, se trouve celle titrée « Immersions, (Piss Christ) ».
Réalisé en 1987, au début de l’apparition du sida et dans le cadre d’un travail sur les liquides corporels, ce cibachrome (procédé de tirage photographique couleur depuis un film inversible notamment réputé pour résister aux attaques … du soleil) avait été très très mal reçu aux Etats-Unis, où il fut jugé blasphématoire par une partie du public parce qu’il donne à voir une représentation du Christ en croix plongé dans un bain d’urine.
Depuis une dizaine de jours, elle fait dorénavant polémique en France, à Avignon, cité papale, et qu’elle polémique ! Puisque elle est devenue fatale à l’œuvre – nous venons de l’apprendre à l’heure où nous écrivons cet article-.
Ce n’est curieusement que depuis donc une dizaine de jours que des Chrétiens, blessés dans leur Foi, excédés par la représentation, une fois de plus, dégradante du Christ, ont manifesté leur colère par une prière de réparation devant la Collection Lambert le samedi 9 avril, un chemin de Croix le dimanche 10 avril, puis par une manifestation importante samedi 16 avril, veille des Rameaux, sous une banderole où était écrit « Piss Christ, n’acceptons pas l’inacceptable », puis dimanche 17 avril par un cortège réunissant entre 800 et 1500 personnes, selon les sources. En fin de journée, la manifestation ayant atteint la Collection Lambert, quatre personnes se seraient introduites dans le musée et « l’œuvre a été détruite » selon la direction, ainsi qu’une autre photographie ayant trait avec la religion.
Après la prière de réparation et devant les menaces qui pesaient sur le musée, Eric Mézil, le directeur, a fait le choix de fermer pour le week-end la Collection, disant à la presse « on a peur. … On est désemparés devant cette violence… C’est pathétique ». Puis aujourd’hui, après la destruction de la photographie « l’ignorance de ces gens est hallucinante ».
Ces gens, ce sont les catholiques dit intégristes ayant mené la révolte qui sont désignés, précisons-le.
Magnifiques opportunités d’énerver instantanément tout le monde, comme si on brandissait un foulard rouge devant un taureau.
Alors, tout d’abord, non, le rôle de l’art n’est pas de provoquer comme on l’a lu de-ci de-là en réponse, même si cela est très à la mode depuis que Marcel Duchamp a posé, en 1917, un urinoir à l’envers sur un socle, dans une exposition.
Deuxièmement, quand on provoque, on devrait s’estimer content d’avoir excité le taureau, sinon c’est à rien y comprendre. On ne se fait pas passer pour la victime.
Troisièmement, si on n’a pas conscience qu’on pourrait éventuellement exciter le taureau en brandissant devant lui un foulard rouge, c’est de la pure inconscience ou de la pure bêtise.
Or, nous avons du mal à penser que le directeur de la Collection Lambert soit inconscient ou idiot.
Choisir le Piss Christ comme visuel emblématique de l’exposition, le placarder en 4m.x3m. sur les panneaux d’affichage et sur une des façades extérieure du musée, n’est pas innocent. La provocation est bel et bien volontaire. Le problème, à notre sens, est que nous sommes censés vivre en société et en démocratie. Nous sommes aussi censés savoir que la société est faite d’hommes et de femmes de sensibilité et d’opinions différentes. Dans une démocratie, nous avons le droit de défendre nos idées et nous opposer à celles d’autres personnes, par la Raison, non par la provocation.
Certes, un artiste a tout à fait le droit de s’exprimer comme il l’entend parce qu’il a justement ce statut d’artiste, c'est-à-dire de fou du roi en quelque sorte. Mais le lieu qui l’expose ne devrait-il pas jouer pleinement son rôle de médiateur quand il est financé par des partenaires publics ?
Expliquons-nous. La collection Lambert appartient à Yvon Lambert. Si Yvon Lambert exposait ses œuvres chez lui, il pourrait le faire comme il veut. Ce serait un lieu privé ouvert au public, défendant le point de vue d’un collectionneur très à la pointe de l’art contemporain qui est l’objet même de son métier. Or la collection de monsieur Lambert est exposée dans un hôtel particulier cédé par le Conseil général de Vaucluse et fonctionne grâce aux crédits alloués en majeure partie par la ville d’Avignon, mais aussi par la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Tout cela dans la perspective d’en faire dans quelque temps pleinement un musée de la Ville. Il s’agit donc d’un musée public, ouvert pour tous les publics dont une bonne partie sont des contribuables à divers titre et qui se plient de bonne grâce ou pas, à payer ses impôts en échange d’un surcroît de culture. La mission d’un musée est de rendre accessibles les œuvres, physiquement et intellectuellement, partant du principe que tous les publics qui viendront potentiellement les voir n’ont pas nécessairement les clés de compréhension nécessaires. Ce rappel étant fait, à partir de là, aucun directeur de musée n’a le droit d’insulter une partie du public en déclarant que « l’ignorance de ces gens est hallucinante ». Car les catholiques dits intégristes qui ont manifesté leur colère ne sont pas les seuls à ne pas avoir compris le sens donné à cette photographie par Andres Serrano.
Nous touchons du doigt ici un problème essentiel de cette Collection Lambert. Yvon Lambert n’a pas encore intégré qu’en donnant sa collection à la ville, elle change de statut et ne lui appartient plus vraiment. Or, il l’a pensé comme la fondation Maeght, à Saint-Paul-de-Vence, et il l’envisage toujours sous cet angle. Mais la fondation Maeght est une fondation privée. On peut comprendre cependant tout à fait qu’ayant mis une vie entière à la constituer, il puisse avoir du mal à s’en détacher.
Affolée, inquiète, consciente de son erreur (?) la direction de la Collection a fait envoyé, vendredi dernier, par son service communication, un communiqué de deux pages à la presse, dans lequel elle convoque la cour de cassation, la Cour européenne des droits de l’homme et donne, enfin, une explication de l’œuvre que nous vous retranscrivons bien volontiers.
Andres Serrano : « Un artiste comme moi travaille toujours en connexion avec son temps. Un travail comme celui des Fluides – même si ce n’était pas fait de manière totalement consciente- est aujourd’hui très facilement associé au contexte de son époque : au sida (…) Cette œuvre n’a jamais été provocante, ni conçue comme telle, à mon sens. Je n’avais absolument pas anticipé la réaction d’une part du public (…) J’ai été en effet extrêmement critiqué par des groupes fondamentalistes qui ont considéré que mon travail était blasphématoire. »
« En 1987, lorsque l’œuvre est créée, l’artiste associe, mélange, distille, les « humeurs » du corps humain comme on les nommait dans la médecine médiévale. Ces fluides dont on cache la présence – le sang, la bave, la bile, l’urine-, deviennent d’autant plus anxiogènes avec l’hystérie collective suscitée par l’apparition du virus du SIDA.
C’est donc une interrogation sur ce que ces fluides peuvent révéler, autant que sur leurs esthétismes cachés- puisque la réaction du solide dans le liquide provoque une nuée de bulles d’air et un changement de luminosité- qui est l’objet de Immersion (Piss Christ).
Lors de son exposition en 1989 aux Etats-Unis, l’œuvre provoqua un débat, certains croyants extrémistes accusant Serrano de blasphème. D’autres, en revanche, y voyaient l’expression de la liberté de l’artiste.
Ainsi Sœur Wendy Beckett, critique d’art et religieuse catholique, déclara dans un entretien télévisé qu’elle ne considérait pas cette œuvre comme un blasphème, mais plutôt comme une indication de « ce que nous avons fait du Christ » (« this is what we are doing to Christ ») : cette photographie témoigne selon elle de la façon dont la société contemporaine en est arrivée à voir le Christ et les valeurs qu’il représente. »
Et bien voila, ce n’était pas compliqué ! Il aurait simplement fallu mettre à disposition des visiteurs cette explication, sur une simple feuille, dans un coin de la salle où la photographie était exposée. Au passage, le même dispositif aurait dû être mis en place pour l’ensemble de l’exposition.
Mais il est tellement amusant d’énerver le taureau !
Tout cela étant dit, la Collection Lambert par sa présence à Avignon, a le mérite de nous rendre accessible des œuvres d’art contemporain et de nous impliquer concrètement dans la réflexion sur la nature de l’art contemporain. Mais il faut qu’elle cesse de nous mépriser parce que nous, nous ne la méprisons pas.
Olivia Gazzano, Prosper, le magazine culturel, Vaucluse, Avignon, Drôme provençale, Alpilles, le 17 avril 2011 dans
http://www.magazineprosper.com/ , rubrique Expositions temporaires