Bamako, Lyon, Apt : d’une ville à l’autre, l’itinéraire de six jeunes photographes s’expose comme une œuvre en chantier où la Fondation met en scène, aussi, son propre travail.
Artistes et fondation à l’œuvre, tâtonnements et avancées, tentatives, expériences, observation, confrontation des regards. Au-delà des images présentées, l’objet de ce carrefour singulier qu’est « L’expo/photo » est la création à l’œuvre, l’élaboration du travail de l’artiste au cours de passages successifs, d’une ville à l’autre, au fil d’un itinéraire accompagné par la fondation. Elle se présente comme une invitation à aller voir, au plus près, de quoi se nourrit l’acte artistique, comment il s’élabore dans la rencontre, l’échange, le déplacement. Ce faisant, elle propose aussi une plongée au cœur du travail de la Fondation elle-même, placé au cœur de ce « work in progress ».
Tout commence en novembre 2009, à la Biennale photo de Bamako. La Fondation Jean-Paul Blachère sélectionne alors ses cinq lauréats, cinq jeunes photographes d’Afrique et de la diaspora : la sud-africaine Zanele Muholi, militante de la cause homosexuelle et transexuelle en Afrique, auteur de portraits et de scènes intimes sur ce thème dérangeant, le Nigerian Uche Opka-Iroha, pour sa série « Sous le pont », lieu de vie improbable pour toute une communauté de Lagos. Nestor Da, Ivoirien exilé au Burkina Faso, pour son travail prometteur à mi-chemin entre photo et arts platiques, le Congolais Baudouin Mouanda, pour sa série sur la Sape (Société des ambianceurs et personnes élégantes) entre Paris et Kinshasa, et Mohammed Bourouissa, Algérien diplômé en France, photographe revisitant comme un peintre, avec des figurants comme personnages, les scènes de faits-divers dans les banlieues.
Selon un processus désormais bien établi, la Fondation va accompagner ces lauréats dans leur travail jusqu’à la présentation d’une exposition collective au centre d’art aptésien. Avec une étape marquante à Lyon au printemps 2010, dans le cadre du festival Passages. Après avoir piloté pendant plusieurs années les ateliers de Joucas, la Fondation invite, à la demande du Musée des Confluences, les photographes à poser un libre regard sur la ville. Aux cinq lauréats se joint François-Xavier Gbré, Franco-Ivoirien auteur de « mes tissages urbains », également croisé à la Biennale de Bamako. Malik Sidibé transpose temporairement son célèbre « Studio Malick » de la capitale malienne dans les quartiers de Lyon pour photographier les habitants. D’autres libres regards, celui du vidéaste Breeze Yoko, des photographes Samy Baloji et Véronique Martin, de la critique d’art Christine Eyéné sont invités à se poser sur la ville et l’événement.
Ces regards croisés sont au cœur de L’expo/photo où Pierre Jaccaud met en scène les artistes et la fondation à l’œuvre. Pas d’images encadrées, de présentation attendue et bien léchée, mais de grands papiers photos déroulés jusqu’au sol laissant parler les images, des séries déroulées aux murs, avec le contre-point de la vidéo. Simplicité des moyens et respect des œuvres –les tirages sont de grande qualité--se conjuguent. On montre le travail en train de se faire, l’envers du décor. Et le scénographe lui-même n’échappe pas à la règle, mettant en scène ses « carnets de bord » et ses ébauches. Plus qu’une exposition, l’ensemble se conçoit comme une co-création.
« La scénographie et le contenu de l’Expo/Photo expriment notre vocation. On montre un processus de création et on exprime une stratégie qui est de faire la promotion de l’artiste africain sur le plan européen », résume Claude Agnel, administrateur de la Fondation Blachère. Une exposition en forme de profession de foi, pour une Fondation dont la vocation est de faire œuvre, comme on le voit ici, avec les artistes.
Carina Istre
L’expo/photo. Centre d’art de la Fondation Blachère. Apt. Jusqu’au 30 avril 2011. Entrée gratuite du mardi au dimanche, 14h-18h30. Tel 04 32 52 06 15